A propos du rationalisme

Débats sur les valeurs de l'esprit scientifique à rebours de la caricature zététique


Ayant écouté au hasard quelques morceaux du "ballado de la Science et de la Raison" (sic), j'ai été étonné d'entendre une phrase qui m'a paru très bizarre, ironiquement citée du site de J. Beau, rr0.org, qui par ailleurs me semble très respectable. Manifestement un dégat collatéral sur l'image de la science provoquée par les folies de la secte des Zététiciens, j'ai trouvé nécessaire d'y répondre ainsi (citation presque intégrale...):

Mon message à J. Beau:

Bonjour. Je suis en train de compléter ces jours-ci ma page de critique du mouvement zététique, et au hasard de l'exploration du sujet, écoutant pangolia.com/blog/?p=87, je me suis interrogé sur ce qui était entendu par "considérant le rationalisme comme un dogme tout aussi condamnable..." et ai donc regardé l'explication. Or, personnellement, un tel usage du mot "rationalisme" ne me convient pas, mais pas du tout. Je pense que, bien que ça puisse se voir comme principalement un problème de vocabulaire, ce problème est indissociable de certaines questions de fond, qui pourraient passer pour des détails mais je pense qu'elles sont importantes aussi. Je pense en effet qu'il est très important de mettre les choses au point pour se positionner très précisément correctement, d'abord pour s'approcher de la vérité, puis éviter de prêter le flan à de mauvaises critiques. Car si l'on veut s'opposer à des gens qui sont dans l'erreur, il me semble essentiel de ne pas se laisser abuser par leurs erreurs ce qui risquerait plus ou moins de faire leur jeu, même si ce faisant on se trompe moins qu'eux.

D'abord, pour "le problème de vocabulaire": Quel sens donner au mot "rationalisme", et sur quelles bases motiver ce choix de définition ? Ce que je vois paraît basé sur des considérations sociologiques, à savoir : accepter comme fait accompli, que le sens d'un mot se définisse par l'usage majoritaire ou dominant de ce mot dans le monde actuel (ce qui se fait en son nom, les pratiques de ceux qui s'en réclament).
Problème : cet usage courant du mot est-il authentique ou abusif ? L'usage habituel pratique du mot est-il réellement conforme à son sens originel, celui qui est voulu, déclaré, prétendu ?
Existe-t-il par ailleurs une autre réalité intéressante possible voire déjà en oeuvre par ailleurs, qui soit plus conforme à ce que ce mot était censé désigner, que celle qui accompagne la proclamation la plus habituelle ou officielle du mot ?

Voir la bataille sur l'usage du titre de "blog zététique" qui a eu lieu. Pour ma part je refuse de céder au mouvement sceptique officiel le qualificatif de "rationaliste" que je considère comme usurpé, pour les raisons suivantes: Se dire rationaliste, ce n'est pas la même chose qu'être rationnel, loin de là. Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés. Il y a une gigantesque réalité de pratique de la raison, qui est l'ensemble des sciences, et dont la démarche réelle est généralement très différente, voir opposée, à ce que lis . Or je ne vois pas comment décrire la science autrement que comme étant la pratique développée de la raison sous forme du progrès scientifique. Ainsi, pourquoi ne pas définir le "rationalisme" comme le fait de promouvoir et/ou de participer au progrès des sciences et du savoir qui en résulte, tel qu'il s'est déjà fait fait et qu'il est possible de poursuivre encore plus avant ? Ne serait-ce pas là une signification très différente et bien plus authentique de ce mot, que la pratique militante des mouvements dits "rationalistes" habituels ? De plus, j'ai explicité dans ma page spoirier.lautre.net/zetetique en quoi d'importants aspects du mouvement zététique permettent de le classer dans la mouvance postmoderne contraire au rationalisme en vigueur par ailleurs.

Autre motif, désolé si ça peut paraître personnel, mais de mon côté je développe toute une recherche, une vision du monde qu'il me semble difficile de qualifier autrement que de rationaliste ou scientiste, même si je n'emploie pas explicitement ce mot. Or, mon approche n'a à mon sens pas grand-chose à voir avec ce que font les sceptiques, de sorte que j'estime très important d'expliquer pourquoi, justement, l'usage que les sceptiques font du rationalisme n'est qu'une caricature, contraire aux principes affichés.

Donc je rencontre un problème personnel à voir le "rationalisme" défini sous forme de l'explicitation pratique de cette caricature, du fait qu'il m'est impossible d'y trouver ma place. L'approche rationaliste que je développe est consultable sur mes pages web (des parties en anglais, d'autres en français, d'autres dans les 2 langues): sommaire en français (euh, c'est un peu un fourre-tout, pas toujours aussi précisément rationnel)  dont par exemple  et encore plus précisément ce puissant argumentaire qu'on peut vraiment qualifier de scientiste quoi qu'il n'ait pas grand-chose à voir avec le scepticisme (ou sa version en anglais encore un peu plus développée) et plus généralement tout le thème de la critique des spiritualités développé en anglais. Enfin, le rappel de l'opposition entre des philosophes "rationalistes" comme Popper, et le philosophe "non-rationaliste" Paul Feyerabend, me semble une très mauvaise référence pour comprendre la situation, car je vois ça comme un petit conflit interne à une secte de philosophes déconnectés de la profondeur du réel (même si Popper a le mérite d'avoir fait par ailleurs un bon travail de dénonciation auprès du public, de certaines fausses sciences qui étaient populaires à l'époque), comme j'ai expliqué dans ma page de critique de la philosophie - voir aussi "qu'est-ce que la science"
Cordialement.
----------Réponse de J. Beau------------
Merci pour votre courrier, ainsi que les références à votre site que j'ai trouvées fort intéressantes.

Je dois d'abord vous dire que vous êtes le premier que je vois à condamner la démarche "zététique" (un terme sur lequel il faudra revenir) tout en se proclamant rationaliste (du moins c'est ce que je comprends dans votre position). Pour moi le rationalisme correspond en effet à l'extrémisme de la méthode "zététique" que vous condamnez chez les "sceptiques" (que de mélanges de termes, de surcroît mal employés selon moi). Pour vous il semble simplement être une bonne manière de faire de la science, ce que ne font pas les "zététiciens" français. En un mot, je pense que nous sommes plutôt d'accord, et condamnons les mêmes choses, mais pas avec les mêmes mots.

Je pense en effet, peut-être comme vous, que la plupart de la "zététique" française (à part quelques-uns comme Nicolas Vivant que j'apprécie) ne pratique absolument pas comme ils le prétendent "l'art du doute" car leur méthode-même (ce que j'appelle le rationalisme et dont vous contestez l'emploi) ne leur permet pas de douter : en prétendant utiliser des arguments/protocoles universels (quels qu'ils soient ; le falsificationnisme, l'induction, le fameux et si subjectif "rasoir d'Ockham"...) capable de trier impitoyablement, sans aucun doute justement, les théories, les explications entre "bonnes" et "mauvaises" et entre "scientifiques" et "non scientifiques". On dit souvent qu'il y a "une" méthode scientifique (sans jamais dire laquelle, sans jamais vraiment la décrire), mais m'est avis qu'il y en a juste plusieurs. Ils y en a eu plusieurs dans le temps, il y en aura d'autres, parce que la science se construit, s'améliore, s'affine, se corrige, évolue en permanence. Et il y en a plusieurs aussi à un instant donné, parce qu'il n'y en pas de vraiment meilleure qu'une autre. Certaines sont plus ou moins adaptées à l'étude/la découverte de tel ou tel phénomène. C'est comme vous le savez ce qu'a défendu Feyerabend, et il m'est difficile de ne pas adhérer à cette vision fort... réaliste, qui argue que nous sommes loin du mythe de la science à la méthode universellement objective que défendent les "zététiciens"* français.

*Je vais profiter ici d'employer une dernière fois le terme entre guillemets, souhaitant rappeler que la zététique (dans le domaine du paranormal) est la création de Marcello Truzzi, un véritable sceptique américain, au bon sens du terme, c'est-à-dire qui savait vraiment douter et maintenir son jugement sans trancher lorsqu'il manquait d'argument dans un sens ou dans l'autre. La zététique française usurpe donc considérablement le terme popularisé par Truzzi (dans son Zetetician Scholar) aux Etats-Unis, et les rationalistes américains (CSI, ex CSICOP par exemple) se décrivent plutot comme "sceptiques" (mais ne doutent pas plus, dans leur majorité). La zététique "enseignée dans l'Antiquité" était une école philosophique qui prônait le doute permanent, ce dont sont loins les zététiciens français.

Je pense même que dans la 2ème puce de votre "contradiction n° 2", vous passez un peu vite sur une autre contradiction : prétendre que l'étude du paranormal vise à maintenir dans l'ignorance des foules et donc les maintenir sous contrôle. Evidemment l'étude de quelque chose vise au contraire à la comprendre et, en diffusant cette connaissance (qu'il y ait phénomène nouveau ou pas), à libérer ces foules de simples croyances, a prioris, etc. Simplement ils n'entendent pas "étude" quand ils le lisent, mais "prosélytisme" ou "propagande" pour une croyance donnée, sans véhicule scientifique valable.

Pour revenir sur le terme de rationalisme qui est le sujet de votre courrier, je n'en ai pas inventé l'interprétation. C'est un terme qui a un sens adopté depuis un bon moment déjà, et je ne me vois pas décider d'en inventer un autre sens, comme les "zétéciens" français corrompent aujourd'hui celui de "zététique" ou même de "sceptique" (je me revendique comme sceptique à la Truzzi et me sens bien éloigné de leur pensée). Je vous recommande par exemple, si vous ne l'avez déjà fait, la lecture de l'excellent livret de vulgarisation de Alan F. Chalmers: What is this thing called Science? traduit Qu'est-ce que la science - Popper, Khun, Lakatos, Feyerabend, La découverte, 1976 réédité en 1982 (on le trouve en FNAC). L'idée est belle et bien celle de l'existence de critères universels/atemporels pour juger les théories. On peut comprendre cet idéal, voire même dire que les zététiciens français l'appliquent mal et que vous (ou d'autres) sauriez mieux le faire mais, vous l'avez compris, ce n'est pour moi pas une question de pratique ou de modalités, mais d'un principe auquel je ne crois pas. Encore une fois Feyerabend en fournit de nombreux exemples dans Contre la Méthode. En effet comme vous dites l'idée d'appliquer "la raison" n'est pas l'apanage d'un rationalisme/scientisme, mais de toute méthode scientifique et, si je peux parler crument, pour moi suffisamment passe-partout un peu la tarte à la crème du débat sur l'application d'une bonne méthode scientifique.

Je vais m'arrêter là et lire un peu plus vos pages. N'hésitez pas à m'indiquer une critique plus détaillée (tel ou tel passage) de ma page sur le rationalisme (ou d'autres pages) de manière à ce que je comprenne mieux ce que je n'ai peut-être pas compris. Mais je pense pour l'instant que le fait de vous revendiquer "rationaliste" doit dépendre de votre position par rapport à l'existence de critère(s) de jugement universel(s) d'une théorie typiquement. Il se peut que vous le soyez (et l'appliquiez mieux que les zététiciens français par exemple) ou dans le cas contraire que vous soyez simplement un bon "sceptique", au vrai sens du terme. Dans tous les cas, je pense que vous pensez mieux qu'eux et je ne peux donc que vous encourager à développer votre pensée.

Bien cordialement,
----------Moi:---------

Je vois la "méthode scientifique" comme un fil directeur de l'esprit et de la recherche, qui se doit de se décliner en multiples formes pour s'adapter aux multiples situations, et ne saurait se réduire à un algorithme particulier.
Pour moi, la notion de "vraiment meilleure méthode" n'a pas de sens universel, mais ne doit pas donc être non plus rejetée, mais doit être comprise comme quelque chose d'imprécis, de relatif à la spécificité de chaque problème étudié et de la compréhension provisoire qu'on en a, et doit donc être reconsidérée en permanence d'une situation à l'autre.

Pour le dire autrement, la reconnaissance de l'hypercomplexité et du caractère multiforme du monde, ne doit pas être pris pour un relativisme (une fade uniformité des valeurs).
Bon, là encore on est essentiellement d'accord avec des mots différents.

> fait de vous revendiquer "rationaliste" doit dépendre de votre position par
> rapport à l'existence de critère(s) de jugement universel(s) d'une théorie
> typiquement.

Non. La raison est pour moi une discipline générale multiforme, mais se distingue néanmoins de manière importante d'un certaine pratique de la non-raison, ou paresse intellectuelle, de fait largement répandue dans certains domaines (enseignements "spirituels" notamment).
Un peu comme la distinction entre la pensée humaine et la pensée animale, qui n'a pas besoin d'une rupture nette dans l'histoire évolutive pour être quelque chose de réel.
Le fait qu'il n'y ait pas de mur de séparation net et précis (reconnaissable par un idiot) entre ce qui est rationnel et ce qui ne l'est pas, n'est pas contradictoire avec la supériorité de la pratique de la raison (l'intelligence) sur celle de la non-raison (la bêtise). Voir aussi le début introductif du texte http://peccatte.karefil.com/SearleRR.html sur la question de la discernabilité entre ce qui est rationnel et ce qui ne l'est pas.

J'espère avoir été plus clair cette fois...
Bien cordialement.
-------J. Beau---------
Je pense que le malentendu est sur l'idée que "rationalisme" serait un terme général désignant simplement la recherche de la raison, ce qui est rationnel ou non. Il n'en est rien. Ce que je dis est que c'est une école de philosophie des sciences bien précise, et donc qu'on ne peut l'employer pour autre chose. Si vous voulez définir votre démarche d'une recherche du rationnel, et si vous voulez éviter la confusion avec cette école, vous devriez employer un autre terme.

--------Moi--------
Je ne vois toujours pas pourquoi laisser à une certaine école précise de philosophie des sciences (que je ne connais pas, que je n'ai pas non plus cherché), le copyright sur l'usage du mot "rationalisme" pour lui fixer une signification pathologique, surtout étant donné qu'il ne me semble pas du tout coller avec l'usage de ce même mot dans le texte du philosophe John R. Searle ici-même cité.

Je viens cette fois de regarder ce qu'il en est sur wikipedia.
L'article francophone semble certes aller plutôt dans votre sens, ou peut-être encore un troisième sens.
Par contre, je me reconnais sans problème dans le sens que donne le paragraphe introductif de l'article wikipedia anglophone
http://en.wikipedia.org/wiki/Rationalism

---------J. Beau:--------

Je n'oublie pas notre discussion. Peut-être parlons-nous finalement de la même chose mais en mettant en lumière des aspects différents : alors que vous insistez sur l'usage vertueux de la "raison" comme seule manière d'accéder à la vérité, j'insiste pour ma part sur le fait que cette doctrine peut être à la fois floue  (la plupart des gens, quelle que soit leur théories sur des phénomènes mystérieux seront d'accord avec) et très restrictive (la définition du Wikipedia anglais cite par exemple une définition de Bourke prônant le raisonnement déductif (ce qui, appliqué au sens strict, est très malheureux voire inapplicable, parce que la déduction implique l'élaboration de théories préalables, généralement à partir d'observations -- induction -- etc. On peut bien sûr remplacer déduction par toute(s) autre(s) méthodes ou outils de raisonnement prétendus "universels" mais qui ont chacun leurs défauts). Et c'est là une caractéristique du rationalisme que je ne défends pas : l'idée d'une méthode/d'un outil universel/atemporel permettant de comparer les théories. C'est là aussi le paradoxe du rationalisme que de prôner une méthode universelle de raisonnement sans décrire de laquelle il s'agit (ou alors de manière très floue comme l'application de la "raison", de sorte qu'on ne saurait comme vous le faîtes lors de vos joutes avec vos "sceptiques" dire ce qui est plus rationnel si ce n'est selon un avis arbitraire -- un bon moyen d'entretenir des débats éternels). En cela le rationalisme est pour moi plus plus une doctrine (il y a un raisonnement universel toujours valide, mais je ne saurai dire lequel) qu'une méthode (pratique/technique) particulière.

---------Moi:---------
As-tu lu mes textes: - sur la philosophie - qu'est-ce que la science.
J'ai l'impression que non.

Je qualifierais la raison moins de floue (certes une part de flou), que d'hypercomplexe.
Autrement dit, pour moi: raison := intelligence.

Restrictive ???????????????
Si tu ne cherches que des définitions simplistes de la raison, bien sûr que tu ne trouveras que des définitions simplistes.
Il est absurde de vouloir des définitions stupides de l'intelligence.
Pour la raison c'est pareil.

> (la définition du Wikipedia anglais cite par exemple une
> définition de Bourke prônant le raisonnement déductif

Bien sûr, un article wikipedia sera simplificateur, par nécessité encyclopédique.
Pour moi la raison n'est pas quelque chose qui se définit, mais quelque chose qui se vit.
Moi en lisant le wikipedia anglais je n'ai retenu que l'idée en intro à laquelle je souscris : la primauté de la raison sur toute autre démarche.
Je n'ai nullement retenu l'idée que le rationalisme consisterait à croire que la raison serait réductible à une définition simpliste par l'application automatisée d'une toute petite méthode unique, je ne sais pas d'où tu tires ça, et je ne pense guère qu'il y ait beaucoup de monde qui l'entende ainsi. Bien sûr il peut y avoir quelques propositions de petites définitions qui se balladent dans les airs pour en décrire l'un ou l'autre aspect, mais je ne vois pas ça comme à prendre pour des étendards de simplisme qui prétendraient achever ce qu'est la raison.

Pour tout dire, c'est pour moi la première fois que je trouve quelqu'un qui fait un tel amalgame entre rationalisme et simplisme. Je n'ai jamais vu ça ailleurs.

Même les zététiciens, qui déploient une version simpliste et dégénérée de la raison, ne conçoivent pas la raison comme simplisme. Pour eux aussi la raison c'est déployer leur pensée aussi loin qu'ils le peuvent. Le seul hic c'est que ce déploiement de la raison, qu'ils mènent autant qu'ils peuvent à leur mesure, est limitée par la forme étriquée de leur propre cerveau.
Il ne faut pas reprocher au rationalisme la petitesse du cerveau de ceux qui s'en réclament. Ca n'a rien à voir.

Bon allez, une définition, s'il en faut une:

Rationalisme = affirmation suivant laquelle la recherche de type scientifique (avec toute la richesse de ses subtilités tels que déployés dans bien des sciences, sans exclure que d'autres subtilités encore doivent être ajoutées pour s'adapter à encore d'autres objets) mène de toute manière plus sûrement au discernement de la vérité sur la plupart des questions qui soient des questions de vérité (ceci excluant donc les questions d'ordre artistique et choses semblables), que ne peuvent le faire la prière, les chants, la foi en Jésus ou en Dieu type InchAllah, le nirvana, la culture de l'humilité exacerbée, ou tels ou tels autres sentiments, la lecture de la Bible ou de quelque autre texte sacré traditionnel, et autres choses de ce style.

A mon sens, telle est la définition du rationalisme, et je ne vois pas du tout cette définition comme moindrement en rupture avec celle qui est normalement acceptée (sauf éventuellement par quelques philosophes ou sectaires marginaux bien sûr).

Dois-je rappeler que cette position que je désigne sous le nom de rationalisme, est une position loin d'être triviale pour bien des gens.
En effet je constate qu'actuellement dans le monde, la plupart des gens sont opposés au rationalisme tel que je viens de le définir. Ils croient dur comme fer que le seul moyen vers la vérité c'est la foi en Jésus et le baptême du Saint Esprit, le détachement bouddhique, et choses semblables. Donc si tu n'est pas d'accord avec eux que les pratiques religieuses mènent plus sûrement à la vérité que les recherches de type scientifique, alors tu fais partie de la petite minorité de rationalistes sur cette terre, que tu le veuilles ou non.

--------J.Beau:---------------

Je n'ai pas plus lu tes textes que la dernière fois, désolé. 
Il me semble qu'il y a des incompréhensions de mon propos dans ce que tu dis dans tes réponses:
Quand je dis "flou(e)" je veux dire qu'elle n'est en rien précise, qu'elle est trop générale (et donc une doctrine plutôt qu'une méthode). Tu peux me dire en longueur que c'est l'application des sciences plutôt que des non-sciences, mais tu ne précises pas pour autant l'idée. Pour moi ta définition se résume à  "l'application de la raison, c'est mieux" sans dire pourquoi, comment, etc.. Parce que tu ne sais au final vraiment définir ce qu'est le "scientifique" à part à travers ses résultats ("vous voyez, ça marche mieux que le reste" - Mais pourquoi ? Et est-ce toujours vrai ?). Parce que la frontière entre science et non-science n'est pas toujours évidente, et qu'elle se définit plutôt par ses méthodes (absentes d'une définition de l'usage raison) que par une idée générale. Ce n'est pas l'application de l'usage de la raison (faire de la science disons) que je trouve simpliste, mais sa définition (inexistante ou vague/générale/subjective). C'est pour cela que, même si je considère comme toi les explications scientifiques comme plus probantes que des explications mystiques du monde, je ne me revendique aucun rationalisme. Pour moi ce qui est important c'est de produire des choses partageables, au sens de vérifiables par tout le monde (le contraire de la subjectivité, quoi), que ce soit dans une case "science" ou non.

Donc, je suis d'accord sur l'idée que le rationalisme inclut principalement cette idée de "tout ce qui est raison est bon", mais ça n'apporte pas grand chose en soi (i.e. c'est vague), et le véritable contenu qui en découle est une sorte de "dictature molle" qui impose une/des méthodes universelles* (que n'auraient pas les non-sciences) sans vraiment les définir (pas de méthode imposée). A quoi sert tout ce flou ? A mon sens à rejeter ce qui fait peur a priori aux rationalistes (la mystique, etc.), histoire de maintenir ce "grand partage" entre science et non-science (auparavant non-science = culture populaire, mais c'est en train de se réduire), entre les gens "sérieux" et ceux qui ne le sont pas. Les rationalistes veulent délimiter leur territoire acquis.

* D'où je tire çà ? Je te l'ai déjà dit, une source est le bouquin de Chalmers, "Qu'est-ce que la science ?". 

------------Moi-----------
Ne pas les lire est bien la meilleure façon de priver la discussion de toute chance de pouvoir progresser.

Je rappelle la comparaison:
Il est impossible de donner une définition de l'humain par opposition à l'animal, mais peut-on pour autant nier la capacité de l'homme à connaître le monde mieux que ne le peuvent les animaux ?

Il est faux d'exiger une définition stupide de l'intelligence, et de conclure que l'intelligence n'existe pas faute d'en avoir reçu une stupide définition satisfaisante.

Donc la raison est fondamentalement différente de la non-raison, dans la mesure précisément où on entend ici le qualificatif de "fondamental" comme quelque chose de pratique et contextuel, qui n'a RIEN A VOIR avec celui d'"essentiel" = distinct par nature profonde, binaire ou des choses comme ça.

Voir ce texte très important que j'ai commencé à rédiger il y a qq semaines
http://antispirituality.info/essentialism

Sur la suite: je ne vois pas trop quoi y répondre de précis, ni en quoi ça pourrait changer mes propos précédents, sauf à préciser le point suivant très important:

En réponse à:

" Parce que tu ne sais au final vraiment définir ce qu'est le "scientifique" à part à travers ses résultats ("vous voyez, ça marche mieux que le reste" - Mais pourquoi ? Et est-ce toujours vrai ?).
Parce que la frontière entre science et non-science n'est pas toujours évidente"

Désolé mais là je dois te contredire:
En effet, ce qui m'amène à discuter de la science, c'est bel et bien que d'abord j'ai été fan et doué de maths et de physique théorique et de réflexions théorique de divers sujets (économie et politique, métaphysique, etc)  depuis l'enfance, et que je suis ainsi parvenu à des accomplissements importants en ces domaines. Une de mes expériences et non des moindres, fut mon expérience de foi évangélique fervente qui a duré un certain nombre d'années, suivie d'une déconversion complète à partir de laquelle j'ai pu faire un énorme travail de remise en ordre de ma compréhension de toute cette aventure religieuse.

Tout cela me procure donc une certaine connaissance très substancielle et intime de ce qu'est la science et de la raison.

Donc, pour moi, parler de la raison, c'est tout le contraire de quelque chose de flou, mais c'est tout un gigantesque univers que je connais bien, et c'est bien uniquement en tant que fin connaisseur intime de cet univers, que je me permets d'en parler.
--------J. Beau:--------
Je ne doute pas que tu aies un avis sur ce qui est raisonnable ou sensé ("scientifique" dirons certains, alors qu'il y a des tas de résultats ou même méthodes scientifiques qui sont faux) et ce qui ne l'est pas (ou plus, si on prend la référence de ton expérience évangélique). Je ne doute pas non plus que cet avis soit basé sur une expérience considérable dans ces domaines, et que tu parles en connaissance de cause. 
Seulement (et malheureusement), ça n'apporte rien tant que ce n'est pas partageable (d'où l'importance de publier ses travaux en science par exemple). Dire "je sais très bien discerner le bon du mauvais", le rationnel de l'irrationnel ou le scientifique du non scientifique, c'est bon pour toi, mais c'est incommunicable aux autres tel quel. Il n'y a de connaissance scientifique qu'une connaissance partagée. Pour le rendre communicable il faut communiquer quelque chose de reproductible par les autres (typiquement via une description de méthode pour reproduire les connaissances que tu prétends avoir découvertes). Et cette description communicable, partageable, manque toujours dans ton discours qui reste paradoxalement subjectif sur la science (de ce que j'ai lu jusqu'à présent dans nos échanges).
Comprends-moi bien, je ne te reproche pas de ne pas fournir une telle description universelle de ce qu'est la science, ou de quelle méthode on doit appliquer pour systématiquement arriver à des vérités scientifiques, car je pense que ce n'est pas possible. Dire que c'est possible, c'est faire du rationalisme.
--------Moi:-------------
Continuons:
Certes je ne peux pas communiquer sous forme verbale l'intelligence elle-même, source des compréhensions que j'ai développées.
Néanmoins, il reste des choses encore très importantes que je peux produire et communiquer verbalement: une certaine compréhension effective d'un certain nombre de sujets particuliers. Je communique donc quelque chose de ma raison par l'exemple, sous forme d'une grande quantité de réflexions et d'explications sur des choses particulières.
Et plus précisément, sur des questions parmi les plus importantes que j'aie pu trouver.
Ce sont les nombreux textes que j'ai mis sur mon site.
Des textes sur les fondements des maths, sur les religions, sur un certain nombre d'idées reçues qui dominent le monde, sur l'économie, etc.
Et je pense que, même si ça se sera jamais la potion magique pour discerner à coup sûr ce qui est plus rationel de ce qui est en faute, parmi tous les mouvements et toutes les doctrines du monde présent ou avenir, du moins ça peut y apporter un progrès appréciable.

Car même si la raison elle-même n'est pas transmissible, un bon panorama d'un certain nombre de réflexions rationnelles donnant certaines connaissances et pouvant servir d'exemples tout en réfutant un certain nombre d'erreurs, de pièges et d'obstacles à la raison actuellement répandus, peut contribuer à inspirer les gens dans la bonne direction.

Moi-même, si j'ai pu progresser dans l'exercice de la raison, c'est à force de la pratiquer, et de constater ce qui fait avancer le schmilblick et ce qui ne le fait pas, de sorte que des succès peuvent favoriser d'autres succès, d'une manière comparable à (ou exemple de) la plasticité cérébrale...
Ainsi, des exemples de réflexions bien menées peuvent inspirer d'autres à bien penser également.

Pour revenir au sujet de départ:
Oui, la raison existe, c'est un chose très réelle, même si, précisément au même titre que tant d'autres réalités subtiles étudiées par la science (matière noire, etc etc), elle peut être très difficile à conquérir ou caractériser.
Et c'est pas parce que quelque chose est difficile à comprendre ou discerner qu'il n'existe pas.

Pour essayer de réexpliquer les choses:

Pour moi (et je crois n'être pas du tout le seul à penser ainsi), la raison n'a de sens que dans la mesure où elle est effectivement utile à faire avancer la connaissance du réel. Dès lors, à quoi bon prétendre définir et transmettre la raison à l'état pur ? En effet, la raison ne devient véritablement raison que par son travail effectif sur le réel. Ca n'aurait pas de sens de transmettre de la raison séparément de ce à quoi elle peut servir. Le problème de la zététique, qui "utilise le paranormal comme support", c'est que, alors que certes "en gros" il serait bon de présenter la raison comme appliquée à quelque chose, encore faut-il le faire vraiment et sincèrement, de manière adaptée à la réalité de l'objet. Car le vrai but doit être l'objet, la réalité; et non pas la raison pour elle-même. Car une raison qu'on réduirait à elle-même, déconnectée du réel où elle est censée s'appliquer, quand bien même elle en utiliserait des bouts comme prétextes, ne serait tout simplement plus de la raison.

Utiliser un objet comme prétexte ou support pour transmettre la raison, c'est déjà un travestissement de la raison. La vraie raison ne peut exister et se transmettre qu'à condition de ne pas en faire ni un objet en soi ni même un objectif prioritaire, mais de la traiter pleinement et sincèrement comme ce qu'elle aurait toujours dû rester: une discipline subordonnée à son véritable objectif qui est la connaissance du réel.

C'est pourquoi je considère que le véritable rationalisme doit renoncer à vouloir définir la raison comme objet définissable, au profit de son développement comme réalité, comme une sorte de sport qui n'existe que par sa pratique.

C'est ainsi que ma démarche principale consiste à développer de mon côté l'exercice de la raison, et de travailler à lui faire réussir à quelque chose. Il serait absurde de vouloir sortir une quelconque caractérisation de la raison sans disposer au préalable des "preuves", de l'expérience approfondie de comment cette raison peut effectivement faire progresser la connaissance. Finalement, cette "raison" telle qu'elle m'aura fait découvrir le réel, ne s'avérant ni tellement plus simple, fondamentale ou transmissible que son fruit (la connaissance), il est tout-à-fait naturel pour moi, dans ma démarche "rationaliste" (= vouloir contribuer de mon possible au développement de la raison dans le monde) d'attacher au moins autant d'importance et de soin à d'abord exercer la raison en moi-même puis transmettre les fruits obtenus, que les modèles de raisonnements qui m'y ont amené.

Est-ce plus clair ?

Quelques idées de réponses complémentaires qui me sont venues après-coup:

On pourrait dire que la méthode est à la science ce que le moyen de transport est au voyage.
Les moyens de transport sont nécessaires au voyage, mais ils ne sont pas le voyage.

Le fait de mettre en avant certaines méthodes scientifiques, peut être utile vis-à-vis de gens qui ont (peut-être) tendance à n'avoir aucune méthode qui leur permette d'avancer, et à cause de cela se trouvent collés indéfiniment sur place, à ne voyager qu'en rêve dans le monde de la connaissance; à rêver de connaissances mais à n'en avoir aucune de vraie et de fiable. Ou peut-être développer quelques connaissances partielles, mais mêlées d'erreurs, et sans savoir faire de tri. Situation hélas de fait très courante à travers les religions et spiritualités actuellement répandues.

Par contre, le fait qu'il y ait certains moyens de transport possibles, n'empêche pas qu'il y en ait d'autres également utiles par ailleurs. Certains sont véritables, d'autres illusoires. Comment le savoir ? Eh bien c'est un gros problème, la réponse n'est pas toujours donnée d'avance... il n'en reste pas moins que, quelque part, fantasme et voyage réel sont 2 choses distinctes, et que l'abondance de gens qui se croient sérieusement sur la lune alors qu'il n'y sont qu'en rêve, constitue un problème majeur. Et ce n'est pas parce qu'il y a un problème grave que ceux qui s'y font piéger seraient forcément "fautifs" en quelque sens que ce soit, ni qu'une solution toute cuite doit forcément être à portée de main.

Par ailleurs, normalement les débats de plus haut niveau de rationalité sont des débats dans lesquels beaucoup de questions spécifiques peuvent être abordés, mais où les qualificatifs de "rationel" et autres déclinaisons de ce mot, n'ont que peu de place, faute d'être suffisamment expressifs; cela sonnerait trop comme des batailles d'insultes de cour de récréation, loin du vrai débat. Bien sûr il y a par ailleurs des cas désespérés, où l'un des interlocuteurs s'avère incapable de raison, de sorte que son manque de rationalité s'avérant un obstacle majeur à toute tentative de dialogue, l'autre n'a plus d'autre option que d'exprimer le constat d'échec en terme d'irrationalité... tandis que l'autre peut avoir une impression analogue en sens inverse, et lui renvoyer la balle. Qui a vraiment raison ? Là encore, parfois, bien malin qui pourra le dire...

Par ailleurs, je ne vois pas la question de la rationalité comme une question de "critère de comparaison de théories". La raison est une dynamique constitutive du développement et de la construction de toute théorie. Il y a des théories développées rationnellement, d'autres moins. Il n'y a pas d'abord des théories jouissant d'une réalité indépendante dans le monde des idées, ensuite une rationalité qui tombant du ciel se contenterait de leur distribuer de bonnes ou de mauvaises notes. La raison était d'abord constitutive des théories présentées, puis elle peut revenir dessus et les retravailler, les réexaminer, et ce faisant transformer les idées anciennes en idées nouvelles, clarifiées par rapport aux précédentes (sauf bien sûr lorsqu'elles étaient formalisées mathématiquement en sorte de pouvoir être qualifiables de rigoureusement équivalentes ou non à leur version précédente).

Une discussion a démarré avec une autre personne, et est relayée ici . Je vais y revenir bientôt...

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