Comment convertir une population

(à la pratique d'une religion ou de n'importe quoi d'autre.)
(Si vous cherchez une analyse des motifs de conversion au christianisme, allez plutôt voir par ici)
Attention: pour eviter tout contresens sur l'orientation generale de ce texte et de ses objectifs, il est necessaire de le lire jusqu'au bout.

Sommaire

Principes généraux
La disco
Sortir des sentiers battus
La timidité
Remarque sur le progrès naturel de la civilisation

Principes généraux

Prenez une population que vous voulez convertir à votre religion (ou à n'importe quoi). Pour cela, décrétez la chose suivante.

Les établissements d'enseignement obligatoires (secondaire et universitaires) se diviseront en 3 categories:
- Ceux réservés aux convertis (mixtes)
- Ceux pour les hommes non-convertis
- Ceux pour les femmes non-converties.

De plus, les premiers seront implantés en chaque ville, et les deux derniers seront implantés dans des banlieues diametralement opposees de chaque ville, et avec des periodes de vacances qui empêchent les hommes et femmes non-converties de se rencontrer.

Vous le décrétez en douce, en vous arrangeant pour détourner l'attention de l'actualité sur autre chose pendant ce temps.

L'effet se comprend facilement: les gens ayant besoin de trouver partenaires mais considérant cela comme une affaire purement privée dont on n'oserait pas parler aux autres, suivant donc naturellement les méthodes de bidouille individuelle comme cela s'est toujours pratiqué, seront tentés de se convertir pour etre admis dans les établissement mixtes. S'ils ne le font pas mais tentent pendant les périodes de vacances d'aller draguer en ville, ils trouveront des convertis, lesquels n'ayant pas de problèmes pour faire des rencontres parmi les convertis, n'auront aucune raison de faire l'effort d'adapter leur mode de vie à celui d'un partenaire non-converti. Ils poseront donc naturellement comme condition évidente et naturelle à la relation, le fait d'adopter la pratique des convertis, ce qui donc détruit toute vélléité de résistance de ces malheureux à la conversion.
S'il reste des réfractaires, leurs désirs amoureux insatisfaits et condamnés à se porter la plupart du temps vers des gens qui ne veulent pas d'eux, leur attirera une sale réputation de gens frustrés et pervers. Ainsi sera faite publiquement la demonstration de la vertu de cette pratique, tant comme source de bonheur que de vertu.

Quant aux quelques-uns qui restent, se trouvant par là condamnés au célibat, ne pourront se reproduire et donc disparaîtront en grande partie de la génération suivante.

A la génération suivante donc, alors que la méthode initiale ci-dessus risquerait quand même de s'exposer aux protestations de certains, la situation minoritaire des non-convertis vous permet à présent de passer à la méthode suivante encore plus machiavélique, visant à prolonger le même effet mais d'une manière cette fois-ci à l'abri de tout soupçon.

Vous mixez à nouveau la population en une masse homogène que vous redivisez en petits groupes locaux (classes, ecoles) de manière aléatoire mais contraignante, suivant une méthode publiquement objective de tirage au sort duquel nul ne pourra dévier ni aménager quelque marge de liberté ou décision volontaire de qui que ce soit.

Alors, les non-convertis étant minoritaires se retrouvent dans chaque groupe comme des individus isolés n'ayant la plupart du temps comme possibles partenaires à disposition que des convertis qui, là encore, etant entourés de convertis n'ont aucune raison de remettre en question leurs coutumes pour un éventuel partenaire non-converti. Ce qui redonne bien en partie la situation précédente, et encore plus si pour une raison quelconque les relations entre personnes de religion différente sont plus difficiles à établir qu'entre personnes de même religion.

Si cela ne suffit pas, vous pouvez toujours forcer l'intégration en instaurant la démocratie dans chaque groupe permettant à ses membres de voter pour décider à la majorité quelles coutumes communes ils respecteront. Mais vous n'en avez même pas besoin en fait, il vous suffit de laisser s'exercer la loi du marché de maniere locale, en maintenant la contrainte d'indivisibilité de chaque groupe, sur la question de l'organisation des activites de groupe en lien avec ces coutumes.

Ainsi s'imposera de facto cette religion à tous.

Que dites-vous donc de cette méthode ? Jamais vu ça ? Délire fantaisiste ? Inapplicable ? Certes la méthode numéro 1 décrite plus haut ne s'est jamais vue, du moins apparemment pas sous cette forme, mais... attendez un peu.
Quant à la méthode numero 2, vous constaterez que ses moyens sont "laïcs", faisant l'économie de la mention de la religion en question, et dans son contenu ne diffère en rien de l'état actuel du système de collèges et lycées publics. Et donc la question n'est pas de savoir comment l'introduire, mais plutot comment en sortir, si jamais encore quelqu'un ait le malheur de vouloir en sortir envers et contre tous les principes égalitaristes de la Republique.

Bon allez, assez plaisanté me direz-vous, car même si la méthode numero 2 ci-dessus décrite est bel et bien en vigueur, il n'y a pas de religion dominante actuellement imposée ou potentiellement imposable par de telles méthodes.

Bon d'accord; venons-en aux réalités du monde d'aujourd'hui.

Comment savoir si la situation est comparable, au juste ?
Un petit indicateur; au hasard : le taux de célibat. Euh, on constate qu'à notre époque il est élevé, et en hausse.
Hum... mais ne nous effrayons pas pour si peu, essayons d'examiner concrètement les causes.

Bon, je ne sais pas concrètement quelles sont les causes pour les autres, mais je vais parler pour mon cas. En fait il y a plusieurs causes.

La disco

Au hasard; voyons: quand je parle de mon problème autour de moi, parmi les réactions d'incompréhensions il y a par exemple celle-ci qui revient souvent: "Ben voyons, pour rencontrer des filles c'est facile, tu devrais aller à la disco !"
A cela je repondrais: euh, vous n'avez pas bien compris la question. Je cherche plutot une fille du genre qui n'aime pas la disco ! Où est-ce que je peux en rencontrer, alors ?

C'est alors qu'on commence à me regarder de travers. Je ne suis pas normal. Tout le monde aime la disco. La disco c'est super, on s'éclate, c'est là qu'on fait des rencontres. Quelle idée de vouloir faire des rencontres en dehors de ça, franchement ? C'est de ma faute, je n'ai qu'à aimer la disco comme tout le monde. On m'assène des leçons de morale: "Il faut s'ouvrir un peu, à des genres qu'on n'aime pas forcément".

Non mais, est-ce que je force les gens à adopter les mêmes gouts que moi, et à s'ouvrir à la chorale, la danse classique (que je ne pratique pas mais j'aurais pu m'y intéresser si j'avais eu l'occasion), les mathématiques, la physique ou la pensée economique libérale par exemple ? Non bien sûr, et même si je le voulais je ne le pourrais pas.
Pourquoi je devrais me plier aux gouts des autres, alors ?

On me demande: Pourquoi tu n'aimes pas cette musique ?
(comme si les goûts pouvaient se discuter. On m'assène: c'est de la bonne musique...)
Ne vois-tu pas les gens qui s'amusent (ou: qui s'éclatent) ?
Ne trouves-tu pas ça bien (ou qu'en penses-tu) ?

Ben, si vous voulez tout savoir... je les trouve abrutis, sous l'emprise de ce boucan affreux, violent et débilisant. En tout cas je ne vois pas le rapport avec l'amour comme tant de gens semblent faire.

Je pense que c'est un des pires contextes concevables pour faire connaissance avec quelqu'un car:
- On ne se voit pas (obscurité, éclairage coloré chaotique)
- On ne s'entend pas, on ne peut donc pas raconter sa vie
- On n'est pas concentré pour s'intéresser à l'autre
- Ce qui se passe est soumis au rythme arbitraire des morceaux qui passent
- Quand on essaie de se mêler aux autres on se prend des gens dans la gueule toutes les minutes de manière imprévisible.
Résultat, quand j'y suis malgré tout, j'en arrive parfois à me demander qu'est-ce que je suis venu fiche au milieu de cette horde de zoulous.

Assez philosophé sur les gouts, remontons aux causes.
Il est trop facile en effet pour la masse de s'excuser par le fait que de toute façon c'est la majorité qui aime ça, ils n'en font pas exprès d'être les plus nombreux et donc quoi qu'on dise il n'y à rien a y faire qu'à les supporter. Quelle drôle d'idée de vouloir s'opposer au courant des goûts de tout le monde.
On peut se demander en effet, comment j'ai fait pour y résister. A vrai dire, ce n'était pas une mince affaire.
Remontons donc au commencement, à la manière dont mes goûts se sont formés pendant mon enfance.
Je dois avouer que mon entourage familial de style classique y est probablement pour quelque chose, même s'il doit aussi y avoir un facteur inné. Cependant, cette inflence ne pesa qu'un poids relativement limité relativement à l'influence de la société ambiante. En effet, j'avais beau essayer de suivre mes goûts et refuser tant que possible ce que je détestais, le contexte social me força malgré moi à subir très souvent l'agression de ce vacarme.

Violente par nature, cette "musique" exerce sa violence en employant ses adeptes à l'imposer aux autres par tous les moyens. Par le moyen des décibels par exemple, ou en amenant ses adeptes à s'agresser eux-mêmes leurs oreilles jusqu'à parfois devenir à moitié sourds et a donc vouloir encore augmenter les décibels pour compenser, elle s'impose ainsi aux oreilles de quiconque serait à proximité. Par le comportement aussi, où l'enthousiasme excessif des adeptes les oblige à tenter violemment en quelque sorte de partager leur enthousiasme aux autres avec l'aplomb terrible de qui est totalement persuadé de leur apporter ainsi le bien. Par cette violence de leur incomprehension envers qui ne partagerait pas les mêmes gouts qu'eux. Violence aussi à ne pas vouloir s'arrêter et respecter quelques instants de silence.

J'ai subi cette violence un peu partout au cours de mon enfance et mon adolescence. A la maison en ouvrant la télévision ou la radio. En sortant, à chaque fois que je faisais un pas: dans les cars de voyage, dans certains magasins ou restaurants, les autoradios dans les voitures. Je dirais même que ça m'a pas mal traumatisé.
Et avec ça on me reproche de m'être enfermé, de n'avoir pas essayé d'écouter ces horreurs pour savoir si ça me plaisait ou pas. On m'explique: c'est normal de ne pas aimer la première fois. Pour savoir vraiment si on aime une musique il faut l'avoir écouté des centaines de fois. Seulement alors j'aurai une chance d'arriver à m'"ouvrir".
Mais... serait-ce donc vraiment obligatoire de ... s'"ouvrir" ? Et si j'ai pas envie d'essayer, comment je fais ?
Il n'y a donc que ça dans la vie qui puisse me donner le droit de me qualifier d'"ouvert" ? Le monde est-il vraiment si étroit et monotone qu'il n'a rien d'autre que ça à proposer pour pouvoir s'"ouvir" ? On n'aurait donc pas le droit d'essayer de s'ouvrir à autre chose à la place ? Je ne sais pas moi, par exemple la musique baroque, la nature, la montagne, le folklore, la physique, la philosophie ou la pensée économique ?

J'avoue, qu'à ma resistance il y a eu des moments d'exception. Par exemple la période où je me suis laissé entraîner par la musique de Jean-Michel Jarre. Si ça semble parfois facinant, c'est aussi un risque de déraper de l'autre côté, je m'en suis aperçu quand, en enregistrant des morceaux qui me plaisaient dont certains de lui et d'autres classiques et en les réécoutant à la suite, j'ai pu voir le contraste et constater le décallage des manières d'être que cela suppose.
Aussi, il y eut une fois, à une fin d'année scolaire au collège où toute la classe devait faire la fête en amenant les morceaux de musique qui nous plaisaient, j'ai amené ma cassette de musique classique. Bien sûr je n'ai pas eu le droit de la passer au début, j'ai dû supporter des horreurs peut-être une heure ou deux, au début je détestais, après je m'y faisais et à la fin je commençais à y prendre goût, c'est alors que j'eus enfin droit à passer ma cassette. Hein, c'est quoi ça ? C'est complètement nul ! Il doit y avoir une erreur...
Je ne reconnaissais pas ma musique qui me plaisait tant.
Je venais de me faire laver le cerveau, j'avais perdu tout mon sens musical.

Fumer

Comment faire des rencontres quand on ne supporte pas la fumee et qu'on a donc une forte preference envers les gens qui ne fument pas, dans une societe ou la majorite des gens fument, et que la plupart des lieux publics sont fumeurs...
On nous rabat les oreilles en disant que l'amour c'est savoir s'adapter a l'autre, le prendre comme il est. Exigence de tolerance a sens unique: les fumeurs, eux, majoritaires et ayant le monde pour eux, n'ont pas a s'adapter aux non-fumeurs (ouf, la situation commence a changer, ce n'est pas trop tot !). Or, vouloir que les non-fumeurs s'adaptent a la fumee plutot que le contraire, c'est institutionnaliser le vice. Vivement le droit de vivre en rencontrant plein de, et uniquement, des non-fumeurs, pour donner equitablement aux non-fumeurs autant de chances de bonnes rencontres que celles dont beneficient les fumeurs !!!!

Sortir des sentiers battus

Assez parlé de musique, voyons d'autres aspects. Il y a bien d'autres originalités possibles qu'on puisse avoir, aboutissant à l'isolement. Tout domaine approfondi de la connaissance ou de la culture, en fait, de par son caractère spécialisé, entraîne un isolement des centres d'intérêt par rapport aux autres. Comme une caricature présentait, il n'y a d'universel en l'homme que ses caractères les plus bestiaux, ou encore les modes et autres mouvements grégaires.
Pour pouvoir cultiver l'originalité et la créativité humaines, je pense nécessaire de développer une souplesse et une mobilité de la société à l'encontre du pot commun "républicain" découpé d'office que le système scolaire prétend imposer, permettant les rencontres d'individus d'horizons géographiques divers ayant des intérêts communs.

La timidité

Mais parmi les caractères il y en a encore un sur lequel je voudrais particulièrement attirer l'attention: la timidité. On entend souvent dire que la timidité est un défaut, en sorte que ceux qui sont timides s'en trouvent par là en quelque sorte culpabilisés de ce qu'ils sont, formant un cercle vicieux.
C'est un défaut dont celui qui l'a est victime; cela peut l'empêcher de réaliser des rencontres. A l'occasion, on exhorte les timides à sortir de leur timidité et à se forcer à s'ouvrir aux autres en général et aux activités, car ce n'est qu'ainsi, semble-t-il qu'ils pourront rencontrer l'âme soeur.

Or, il y a plus précisément un phénomène dont je ne me suis rendu compte (qu'on m'a expliqué) que relativement récemment: c'est que la timidité n'est pas vraiment un handicap pour une fille pour faire des rencontres, car il pourra toujours y avoir des garçons pour l'aborder. Par contre, quand un garçon est timide, il risque beaucoup plus de rester seul parce que ce n'est pas une pratique aussi normale pour une fille d'aller aborder un garçon (à ce que j'ai entendu dire).

Mais revenons à l'argumentation. Il y a sous cette exhortation deux idées:

D'une part, l'opinion des extravertis qui réussissent leur vie, qui estiment bon d'être extravertis et qui exhortent dont les timides ou introvertis à s'ouvrir, suivant une approche du genre que c'est ça "avoir la forme". Idée en soi pas mauvaise, mais souffrant à mon sens d'un manque d'attention envers le fond du problème.

D'autre part, une vulgaire discussion stratégique sur les moyens matériels les plus efficaces de parvenir en ce monde cruel à décrocher un but qui n'a d'autre rapport avec ses moyens que cette relation de causalité, le but cru de défendre son bout de gras au mépris de toute autre considération.

Les extravertis donc, qu'ils le soient de façon innée ou acquise, ont tendance à dire, que puisqu'ils sont extravertis, tout le monde peut l'être, et que ceux qui ne le sont pas, c'est parce qu'ils ont décidé de se renfermer sur soi.
Ils se disent: les choses sont bien foutues, parce que le problème des rencontres amoureuses est l'occasion de prouver aux timides que c'est bien de faire l'effort de sortir de leur timidité. Ainsi, ce problème est une bonne épreuve qui les amène à se guérir de leur timidité, et ceux qui ne s'en sortent pas, c'est qu'ils ne le veulent pas.
Alors ils disent aux timides: sortez de votre timidité, ouvrez-vous ! Parce que de toute façon c'est une bonne chose. Vous devez le faire. C'est la morale du destin, la vertu des choses telles qu'elles sont. Le monde est parfait, à chacun de le comprendre et de s'y conformer.

Mais le problème, le voilà: ceux qui disent cela ont la parole facile et assurée, croyant dans leur superficialité savoir de quoi ils parlent, tandis que ceux à qui ils s'adressent, étant timides justement, ont bien du mal à exprimer la réalité de leur difficulté. Il leur est bien difficile de contredire ceux qui leur parlent avec assurance.
Encore moins étant donné le fait qu'ils ont un problème et que ceux qui leur parlent n'ont pas ce problème mais présentent une solution.
Alors, certes il peut y avoir des cas où cela marche, mais il n'y a à cela aucune garantie. Il est facile alors de dire sur ceux pour qui ça n'a pas marché, qu'ils ne l'ont pas voulu. Le problème, indiscible, est réprimé.

Mais on peut aussi présenter le problème en sens contraire: si quelqu'un est timide, c'est parce que le monde extérieur lui est ou semble hostile; une relation amoureuse peut alors être un bon moyen de ne pas rester enfermé sur soi, une occasion de comprendre quelqu'un d'autre, de s'ouvrir, d'apprendre à vivre en tenant compte d'autrui. Par conséquent, ne pas donner aux timides des moyens de relations amoureuses avant qu'ils ne s'ouvrent aux relations sociales, peut s'avérer dans la réalité, contrairement à certains supposés, non pas une bonne incitation à s'ouvrir mais au contraire une condamnation à la solitude et à l'enfermement.
J'ajouterais à cela un sentiment personnel: j'ai eu le pressentiment, sans en avoir eu l'expérience certes, qu'une relation amoureuse alors même qu'on est encore timide, ça pouvait avoir un charme particulier...

Une fois j'ai discuté avec un homme très spirituel (versé dans la philosophie hindouiste), pour lui expliquer la nécessité, à mon sens, de fournir des moyens matériels (informatiques) spéciaux pour aider les timides à faire des rencontres, tandis que lui voulait aborder le problème en disant que la timidité est une sorte de maladie qu'il faudrait guérir pour que les timides puissent faire des rencontres. Il présentait la timidité comme étant la "cause profonde" spirituelle des difficultés à faire des rencontres, qu'il fallait régler d'abord. Ma réponse est donc que ne pas fournir les moyens informatiques aux timides pour faire des rencontres, c'est ni plus ni moins dénier le droit aux timides à faire des rencontres, non les aider d'une moindre manière. Quant au coup de la "cause profonde", autant regarder le manque d'entraînement à l'escalade des bananiers, comme étant la "cause profonde" d'une privation de bananes. Et puis aussi, pendant qu'on y est, considérer que la cause profonde de la famine est l'incapacité ou le scupule de piller les biens du voisin. En effet, qu'est-ce qu'épouser une jolie femme comme on en a besoin (si on a le même goût que d'autres...), si ce n'est priver quelqu'un d'autre de l'opportunité de l'épouser lui-même ? Si l'homme a inventé la science et la civilisation, c'est bien pour échapper à la dépendance (l'esclavage) vis-a-vis de toutes les barbaries de "causes profondes" à la gomme, en organisant les occasions permettant aux gens de se spécialiser dans leurs meilleures facultés pour se rendre utiles à la société, et en obtenir en retour les facilités nécessaires pour satisfaire des besoins légitimes particuliers qu'ils n'ont pas autant que d'autres la faculté de satisfaire par leurs propres efforts et ingéniosités. Ainsi en réalité il s'agit d'un problème circonstanciel, comparable à une discrimination certes involontaire de la société, qui n'accorde pas à chacun des occasions matérielles de rencontre équitablement adaptées à tous les tempéraments. Autrement dit, prétendre situer "la cause profonde" du problème dans la psychologie de sa victime qu'il faudrait "guérir", alors qu'en réalité elle se trouve dans des circonstances extérieures et technologiques induisant une sorte de manque de partage, une discrimination sociale (involontaire et inconsciente), voilà une attitude qui manifeste la plus grossière ignorance des causes profondes des choses justement, tout en contribuant à rabaisser moralement la victime qu'elle prétend aider !

La morale

Pour analyser plus précisément la source de la timidité, on peut la voir comme étant fondée sur la morale, la crainte de faire un faux mouvement. Cette crainte est d'abord fonction de ce qu'on croit soi-même être un faux mouvement, mais en étant influencé par ce que les autres regardent comme étant des faux mouvements. Or, qu'est-ce que le monde condamne ? Quand on regarde les informations et autres choses, on peut retenir que la principale faute que dénonce la société en matière d'amour ce sont toutes ces histoires de viols et de harcellements sexuels. Or ces crimes trouvent leur source dans les désirs naturels, et le risque de confondre ces crimes avec ces désirs n'est pas loin. De plus, cette désinformation quelque peu éloignée se retrouve sous d'autres formes moins extrêmes mais bien plus concrètes, dans la vie de tous les jours: les désirs naturels ne peuvent guère s'exprimer sans quelque risque de scandale ou autre moquerie. La littérature romantique et autres films de cinéma qui flattent les désirs naturels, sont bien trop sagement réservés au monde de la fiction pour contrebalancer ce fait en pratique. Les désirs sont vus comme bons dans les rêves mais mauvais dans la réalité.
Le discernement pratique de ce qui est moral de ce qui ne l'est pas est loin d'être une évidence, surtout pour de jeunes esprits timides. Certes, au-delà des voeux pieux et autres bons discours, il est bien difficile de donner une réalité pratique au droit à l'amour. Pour qu'il y ait une solution pratique il faudrait d'abord arrêter de faire toute cette fiction parasite et, d'une part chercher à mettre réellement les problèmes cartes sur table par des forums web anonymes par exemple, d'autre part instaurer ouvertement, par des associations à but non lucratif et ouvertes à toute initiative individuelle, des réseaux de clubs et sites web de rencontres. Remplacer la fiction par la pratique, voilà le problème. D'abord parce qu'il est très difficile d'inventer une méthode qui soit réellement pratique et non en fait une nouvelle fiction comme on trouve partout, dont la prétention à promouvoir l'amour ne sert en réalité qu'à donner bonne conscience aux privilégiés en faisant se sentir cons ceux qui ont moins de chances ou se débrouillent moins bien que les autres, les soumettant ainsi à un supplice de Tantale supplémentaire. Ensuite, si on y arrivait, beaucoup de gens en seraient très gênés, parce que d'une part cela semble à première vue contre-nature, d'autre part cela les forcerait à prendre leurs responsabilités au lieu de continuer à dire n'importe quoi. Voyons, la fiction c'est beaucoup plus sexy que les solutions pratiques, ça permet de se disculper à peu de frais en faisant innocemment de jolies promesses de rêve à tout le monde...

Pour paraphraser la maxime "Si la vie privée est hors la loi, seuls les hors-la-loi auront une vie privée" (Phil Zimmermann), je dirais: lorsque l'amour est vu comme immoral, seuls les immoraux se sentent libres d'en profiter.
De fait, il arrive souvent que là où ce problème ne se pose pas, c'est qu'il est pris avec sans-gène et dérision, suivant le mode du chacun pour soi, d'une manière que ne motive aucune considération de recherche sérieuse du bien, de la justice et de la morale. En ajoutant à cela une dictature sans merci du hasard glorifiée comme un jeu ou comme l'expression de la volonté de Dieu, un renforcement de l'idée que l'amour n'est pas un truc sérieux pour gens purs et idéalistes mais plutôt un truc de gens sans scrupules, voire pervers. Si en plus s'ajoute l'idéalisme d'espérer l'occasion parfaite, et qu'on attend pieusement le passages des années que le plan de Dieu s'accomplisse au lieu de se mêler à ces jeux idiots, on se retrouve en se réveillant aux nécessités de la vie, finalement isolé dans sa solitude, dans une tranche d'âge où les meilleurs partis sont déjà pris.

Remarque sur le progrès naturel de la civilisation

Que dire de la distinction entre situation "naturelle" dont personne n'est responsable, et situation artificiellement et politiquement provoquée.
Pour moi cette distinction n'a pas de sens, et voici pourquoi.
J'en tiens l'argument du souvenir d'un certain cours de philosophie de lycée qui n'avait apparemment rien à voir, où était discutée la question de la définition de l'homme "naturel" considéré séparément des influences et déterminations sociales et culturelles. La réponse était que cela n'a pas de sens, car la nature de l'homme est d'avoir et de transmettre une culture justement; qu'une caractéristique de l'homme est de vivre non dans un environnement mais dans un monde, dans une société civilisée. Je compléterais ce que j'ai entendu là en remarquant, que, précisément, il n'y a rien de plus anti-naturel pour l'homme que de vivre à la merci des aléas climatiques causes de famines et des pillages (comme il a presque toujours vécu en fait), qu'il est anti-naturel d'être dans le besoin et de n'avoir que la pratique du pillage à portée de main pour s'en sortir, et qu'il est encore plus anti-naturel de se faire piller. Ce n'est pas parce que ça s'est si souvent pratiqué pendant des  millénaires au point de se résigner à penser que ce sera toujours comme ça, que c'est pour autant une chose naturelle, inévitable ou bonne encore moins. L'humanité a évolué, encore plus rapidement depuis des siècles en particulier, aménageant progressivement de nouveaux aspects de son environnement ou de sa propre organisation sociale qui avaient toujours été considérés comme naturels jusque-là.
Si un effort supplémentaire d'organisation sociale et d'aménagement d'autres domaines de la vie est nécessaire pour que cesse encore une autre barbarie destructrice, alors la résignation à ne pas faire cet effort, sous prétexte qu'on ne sait pas comment faire, revient à bloquer l'évolution de l'humanité au stade où elle est maintenant. Ce serait une décision parmi les plus absurdes, arbitraires et machiavéliques qui soient, cachée sous un masque d'hypocrisie.

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