Les lois de conservation

Les nombres de billes de chaque couleur

Un exemple très familier est celui du jeu de billes dans un lieu de récréation: on peut promener et lancer les billes dans tous les sens qu'on veut, on retrouvera toujours à la fin autant qu'au début de billes bleues, autant de billes rouges, etc, qu'on avait au départ.
Cette loi n'est pourtant pas absolue: si on frappe très fort on peut casser une bille. Si on chauffe très fort on peut fondre les billes pour faire un nombre différent de billes de taille différente; fabriquer de nouvelles billes à partir d'autres formes de verre, ou transformer les billes en autre chose.

De telles transformations nécessitent des conditions relativement extrêmes par rapport à la vie de tous les jours, mais elles sont possibles.

Les nombres d'atomes de chaque espèce

Mais si on autorise ces manipulations extrêmes, perdant la loi de conservation du nombre de billes, il reste d'autres nombres qui se conservent. En particulier, il y a conservation du nombre d'atomes de chaque espèce.

En fait, les nombres d'atomes de chaque espèce se conservent exactement comme faisaient les billes de chaque couleur dans le lieu de récréation: ce sont des nombres entiers d'objets dont chacun est à chaque instant localisé dans l'espace, et ne fait que se déplacer (du moins tant qu'on les regarde d'assez loin pour ne pas subir les effets des incertitudes quantiques).

Dans la pratique, cette conservation des nombres d'atomes prend l'apparence d'une conservation de quantités, car les atomes sont habituellement trop nombreux pour être comptés un par un. En effet, un litre d'eau contient environ 3,3.1025 molécules d'eau (chacune formée d'un atome d'oxygène et de 2 atomes d'hydrogène), soit 33 millions de milliards de milliards. Une seule goutte d'eau contient environ 1021 molécules, soit mille milliards de milliards. Ainsi dans la vie quotidienne on ne décrit pas les doses d'eau présentes dans chaque récipient en millions de milliards de milliards de molécules, mais comme ayant l'apparence de quantités continues, par comparaison avec une dose donnée ou d'après leurs masses ou le volume occupé.

Réactions nucléaires

Cette loi de conservation du nombre d'atomes de chaque espèce résiste à bien des contraintes extrêmes vis-à-vis des actes quotidiens. Cependant, elle n'est pas non plus absolue, car il y a des circonstances encore plus extrêmes dans lesquelles elle est rompue : les réactions nucléaires. Quoique, les circonstances pour produire ces réactions n'ont pas toujours besoin d'être extrêmes, puisqu'il y a la radioactivité, qui est une réaction nucléaire spontanée (qui peut provoquer d'autres réactions nucléaires; c'est même par le seul fait de la radioactivité provoquant des réactions nucléaires en chaîne, qu'explosent les bombes atomiques !).

Dans les réactions nucléaires, les noyaux atomiques peuvent éclater ou fusionner. Exactement comme des billes qui peuvent être coupées, ou fusionnées une fois suffisamment chaudes. Cette fois, au lieu de nombres gigantesques d'atomes de diverses sortes, il n'y a dans chaque noyau atomique qu'un petit nombre de ce qu'on peut regarder comme des particules de deux sortes: les protons, et les neutrons. Ainsi, le noyau de l'hydrogène est un seul proton, tandis que celui de l'oxygène comporte 8 protons et 8 neutrons.

Ce ne sont pas des particules élémentaires mais des combinaisons de plusieurs particules plus élémentaires. Pour simplifier en pratique, on ne discutera pas ici des constituants des protons et des neutrons, mais on les admettra comme si c'étaient des particules élémentaires. En effet, on ne peut en séparer les constituants que dans des temps extrêmement courts. Une fois les réactions terminées, ce qui nous reste entre les mains peut toujours se compter en nombres d'électrons, de protons et de neutrons (tandis que les neutrinos peuvent s'échapper très loin de la Terre).

Le nombre baryonique

Oubliant les électrons, très légers, et les neutrinos, pour ne regarder que ce qui pèse le plus lourd, on a donc les protons et les neutrons. Les deux ont une masse voisine l'un de l'autre.

Certaines réactions nucléaires permettent de transformer les protons en neutrons ou inversement (en émettant ou absorbant d'autres particules par ailleurs, dont les électrons...). En particulier, un neutron isolé se transformera en proton au bout d'une durée d'une valeur moyenne de 15 minutes environ (chaque minute, chaque neutron a une chance sur 15 de se transformer).

Signalons que certaines remarques sur les masses peuvent être étranges pour les débutants: les cours de physique élémentaires affirment que la masse totale de tout système physique se conserve. Cela est en partie vrai, en partie approximatif. Ce n'est vrai que suivant l'approximation de la mécanique classique. Dès qu'on quitte celle-ci, il faut redéfinir la notion de masse d'une manière plus compliquée et lui reconnaître des propriétés étranges, comme le fait que la masse d'un système peut différer de la somme des masses de ses constituants. Ainsi, la masse totale d'un noyau est légèrement différente du total des masses des protons et les neutrons qui le constituent, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin avec E = mc2.

Mais dans toutes les réactions nucléaires qui ont été observées, on a constaté la conservation du nombre total de protons et de neutrons, ce qu'on appelle le nombre baryonique. On appelle "nucléon" un proton ou un neutron. Les nucléons sont appelés des baryons. Il existe d'autres baryons que les nucléons, c'est-à-dire d'autres manières de combiner les mêmes particules (quarks et gluons) que celles qui forment les protons et neutrons, mais ce ne sont que des intermédiaires instables, apparaissant puis se désintégrant au cours de certaines réactions. Pour simplifier, on peut les oublier.

Pour chaque particule, il existe une autre particule appelée son antiparticule. L'idée est d'imaginer une particule comme une ligne tracée dans l'espace-temps, ce qu'on appelle une ligne d'univers. Mais cette ligne peut présenter une orientation, comme un sens de parcours: du passé vers le futur, ou du futur vers le passé. Or un même type de particule, représenté par une même sorte de ligne d'univers, reste libre d'être orienté dans l'un ou l'autre sens comparé au sens du temps.
Autrement dit, une fois qu'on aurait convenu d'imaginer de représenter l'orientation de la ligne d'univers de la particule ordinaire comme allant "du passé vers le futur" (ce n'est qu'une convention, pas une réalité), rien n'empêche physiquement qu'il survienne la même particule (au sens de type de ligne d'univers), mais présentée dans l'espace-temps en sens contraire, comme rebroussant chemin "du futur vers le passé". C'est l'antiparticule.

Les antiparticules ont généralement la capacité de s'annihiler avec une particule correspondante. On imagine cela sous la forme d'une ligne d'univers qui fait un angle, où les deux branches sont temporellement du même côté du sommet, et présentent donc une orientation contraire vis-à-vis du temps: toutes deux dans le passé (annihilation d'une paire) ou toutes deux dans le futur (création d'une paire).
En l'occurence, il n'y a qu'exceptionnellement des antiparticules. La raison est que, une fois acquis que dans l'univers les particules sont majoritaires, dès qu'une antiparticule apparaît elle a toutes les chances de rencontrer une particule avec laquelle elle disparaîtra.

Cette description des antiparticules par renversement par rapport au sens du temps, ne signifie pas que le temps passe en sens contraire dans l'antimatière, car le temps au sens intuitif (qui sera finalement décrit par la thermodynamique) ne doit pas être confondu avec l'orientation de la ligne d'univers d'une particule, qu'on peut retourner. D'ailleurs il y a des particules comme par exemple le photon (particule de lumière), qui sont symétriques par rapport au temps: elles sont identiques à leur propre antiparticule. Or, le temps thermodynamique (qu'on expliquera: le fait que l'entropie augmente toujours) garde toujours le même sens indépendamment des particules en jeu.


Dans le décompte du nombre baryonique, les antiprotons et les antineutrons (constituants des noyaux d'antimatière) doivent être comptés négativement, bien que leur masse soit positive et identique à celle respectivement des protons et neutrons. Ainsi, on peut transformer de l'énergie pure en une paire d'un proton et d'un antiproton, bien que ce soit très difficile et dispendieux en énergie (d'autres réactions peuvent se produire à la place de celle voulue). Nombre baryonique de départ: 0. Nombre baryonique d'arrivée: 1+ (-1) = 0. En pratique, comme on ne trouve ou ne produit que rarement de l'antimatière dans la nature, on peut oublier ce cas, et imaginer qu'on a seulement affaire à des nucléons, comme de petites billes qui se rassemblent par sacs qui sont les noyaux atomiques, et dont le nombre total se conserve quand les sacs s'unissent ou se divisent ou que des billes isolées rencontrent ou quittent.

Cependant, la conservation du nombre baryonique n'est pas non plus une loi fondamentale de la physique. On a de bonnes raisons de penser que des réactions sont possibles, modifiant au bilan le nombre de baryons présents, même si on n'en a pas encore observé. Seulement, cela nécessite des conditions particulièrement extrêmes, plus encore que celles des réactions nucléaires "ordinaires".

Peut-être en trouvera-t-on un jour de telles non-conservations du nombre baryonique dans les accélérateurs de particules. Sinon, de toute façon on est quasiment certain de pouvoir en obtenir par le procédé suivant:

Faites s'effondrer de la matière en/dans un trou noir (le coeur d'une étoile géante explosée par exemple), éjectez celui-ci dans l'espace intergalactique, et laissez-le reposer là pendant quelque 10100 années: d'abord, l'expansion accélérée de l'univers l'isolera totalement et définitivement de la vue de toute galaxie, puis il finira bien par s'évaporer totalement sous forme de rayonnement, suivi de quelques gerbes de particules lors du bouquet final de l'explosion du trou noir à la fin de son évaporation. Nombre baryonique de départ: quelque chose comme 1050. Nombre baryonique d'arrivée: quelques broutilles à tout casser. Il y a juste une petite difficulté: il ne restera plus personne pour contempler le résultat.

Les lois de conservation absolues

Les lois de conservation évoquées ci-dessus (nombres de billes, d'atomes de chaque espèce, de baryons), sont des lois pratiques apparentes, souvent vérifiées dans les processus ordinaires. Mais ce ne sont pas des lois fondamentales, car elles ne sont plus valides dans des circonstances extrêmes.

Dans l'expression mathématiques des phénomènes usuels, on fait intervenir ces lois de conservation comme des axiomes. Autrement dit, on les suppose vrais, mais rien ne nous empêche d'introduire dans les calculs l'hypothèse qu'exceptionnellement elles deviennent fausses, autrement dit on ait une création ou destruction de ces objets. Ceci peut en effet traduire la réalité de la venue d'une situation extrême où une non-conservations aurait effectivement lieu.

Cependant, il y a d'autres nombres ou quantités physiques sujettes à une loi de conservation qui, quoique ressemblant à celles qu'on vient de décrire, ont un statut très différent, lié au contexte de la théorie où elles s'inscrivent. En effet ces lois de conservations se présentent non pas comme axiomes, mais comme théorèmes. La manière dont ces quantités sont définies, rend leur non-conservation purement et simplement inconcevable. Une telle non-conservation serait une contradiction logique à elle seule, comme 2+2=5.

Pour se contenter de ce qu'on peut dire sur les phénomènes ordinaires, les lois de la physique établies engendrent deux lois de conservation absolues, au sens qu'on vient d'évoquer: la conservation de la charge électrique, et la conservation de l'énergie.

La conservation de la charge électrique

Les réactions nucléaires conservent toujours la charge électrique.

La charge électrique d'un objet ordinaire suivant l'électromagnétisme classique se définit également comme une quantité, qui en fait correspond physiquement à un très grand nombre entier: le nombre de charges (tout comme une quantité d'eau représentait un nombre de molécules d'eau). C'est la différence entre le nombre d'électrons et le nombre de protons.

La conservation de la charge au cours des créations et annihilations de particules exige de compter la charge d'une antiparticule comme opposée à celle de la particule correspondante. Ainsi, chaque antiparticule est de même masse (en fait positive ou nulle) et de charge électrique opposée de celle de sa particule.

En particulier, comme la convention est de déclarer négative la charge de l'électron, l'anti-électron est de charge positive, d'où son nom de positron.

Chaque transformation de neutron en proton crée un éléctron (et un neutrino), et chaque proton ne peut disparaître qu'avec un électron (pour donner un neutron et un neutrino), ou en produisant un positron qui va ensuite disparaître avec un électron.

Mais contrairement aux exemples précédents, la loi de conservation de la charge électrique est une loi absolue. En effet, dès le départ on ne l'a pas déduite de l'énumération des réactions observées, mais on l'a déduite comme un théorème de l'électromagnétisme classique. Ainsi on a la certitude qu'aucune réaction nouvelle ne pourra jamais être découverte qui contredirait la conservation de la charge électrique.

Même si on décide de jeter des charges électriques dans un trou noir et de laisser celui-ci s'évaporer, il n'y a aucun doute à ce que ces charges finissent par en ressortir, vraisemblablement pour la plus grande part sous forme d'électrons ou de positrons (suivant la charge électrique contenue dans le trou noir) au cours de son évaporation jusqu'à l'explosion finale.

Pour en savoir plus

Voir des textes que j'avais rédigés à un niveau plus élevé (pdf):
Lois de conservation dans le plan
Lois de conservation de dimension quelconque

Suite: l'énergie

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