Je vais présenter ici les raisons pour lesquelles je pense qu'un grand nombre de pays actuellement pauvre va enfin, d'ici une vingtaine d'années, connaître un essor économique considérable. Et ce qui permettra cet essor, ce sont les nouvelles technologies de l'information.
La question des conditions de développement est en fait en deux parties: les facteurs technologiques d'une part, les facteurs humains comme l'originalité des projets, les structures sociales, le contexte politique, la paix et la santé, le niveau d'instruction, les mentalités et le contexte culturel d'autre part. Il est évident que les seconds peuvent avoir une importance considérable, hâtant ou retardant le développement et influant sur son ampleur. Mais nous allons ici nous concentrer sur la première partie qui est très simple, montrant qu'à long terme elle entraînera le développement quasi-inévitable de nombreux pays bénéficiant de certaines conditions favorables minimum (liberté, instruction...), tandis que la seconde nettement plus complexe est laissée de côté pour être traitée plus tard dans un autre texte.
Cela peut paraitre un simple rêve sans fondement: cela fait longtemps
que diverses techniques révolutionnent le monde occidental, pendant
que le Tiers-Monde est resté ce qu'il est: misérable, ne
connaissant pas la croissance économique. Mais d'ici dix ou vingt
ans la situation sera vraiment différente, pour des raisons liées
à la transformation de la nature du travail par les technologies.
Ou probablement au contraire peut-on considérer que cela n'est
qu'une banalité. Si donc vous êtes déjà convaincus
que les technologies de l'information seront bientôt un excellent
moyen de développement, il est inutile de lire la suite.
D'abord, faisons un petit rappel de la situation.
Le sous-développement peut avoir des causes multiples, qui peuvent relever de la mentalité d'un peuple ou encore de son gouvernement qui n'instaure pas le cadre législatif nécessaire au bon déroulement de l'activité économique. Cependant, une constante se retrouve partout dans le monde, au simple niveau des chiffres, qui, bien que n'expliquant bien évidemment pas tout, sont néanmoins un élément du problème.
Rappelons cette trivialité qui bien que réductrice a quelque
chose à voir avec la réalité, que l'objet ici considéré
est le niveau de vie des individus d'un pays, et que ce niveau de vie est
lié au rapport du revenu du travail sur le niveau des prix.
Puis, qu'il existe un marché des changes qui met en rapport
les valeurs des monnaies des différents pays. En sorte que non seulement
on peut se poser la question de l'écart des niveaux de développement
des différents pays, mais on peut au moins abstraitement décomposer
cette question en deux sous-questions, qui sont d'une part le rapport du
niveau des prix entre les pays développés et sous-développés,
et d'autre part le rapport du niveau des revenus du travail entre ces pays.
Et là, bien que la réponse à ces sous-questions
n'a rien d'un secret, il me semble essentiel d'insister sur sa signification
et ses implications fondamentales.
On sait donc d'expérience que l'écart des niveaux de
vie s'exprime totalement sous forme d'écart des niveaux de revenus
du travail. Et même, plus que totalement, puisque le niveau des prix
est généralement d'autant plus bas que le pays est pauvre.
On en connaît l'explication: non seulement il y a un marché
international des monnaies, mais aussi un marché international des
marchandises qui de par les moyens de transport modernes empêche
l'écart du niveau des prix d'être trop important. De plus,
il y a des marchandises plus modernes ou de qualité qui n'étant
produites que dans les pays développés pour des raisons structurelles
doivent nécessairement être importées par les pays
sous-développés, et ce poids poussant vers le déficit
commercial pénalise ces derniers, leur coûtant cher et entraînant
par réaction naturelle du marché une faiblesse de leur monnaie
ou pour le dire autrement une faiblesse numérique de la valeur de
leurs produits sur le marché international.
A cela il faut ajouter qu'un grand nombre de leurs activités
économiques ne sont pas exportables, car ce sont souvent des travaux
supposant une consommation sur place, par exemple les services, la construction,
la pâtisserie, le petit commerce; ou encore la production ou le traitement
de
marchandises alimentaires ayant de toute manière sur le marché
une faible valeur au kilogramme, en sorte que leur exportation, malgré
le faible prix local, coûterait souvent plus en transport que le
bénéfice qu'on peut en espérer. Ces travaux non-exportables
sont souvent de rendement moins sensible au niveau développement
que les autres, ce qui explique que les prix correspondants soient plus
bas en proportion.
Par contre, il n'y a pas pour le moment un marché international du travail, mais à niveau de qualification égal, pour concurrencer les travailleurs des pays développés, il est nécessaire de se rendre sur place. D'où tous les problèmes d'immigration, clandestine ou non: la position géographique d'un travailleur a une influence considérable sur son niveau possible de rémunération.
Et la conséquence, naturelle aussi, de ces chiffres est qu'ils constituent un frein au développement: on ne pourrait se développer qu'en achetant des produits de haute technologie et des services venus des pays développés, qui coûtent trop cher par rapport à la monnaie locale, et en faisant des investissements lourds, qu'on n'a pas les moyens de faire sauf si ce sont des investisseurs occidentaux qui viennent.
Dès maintenant, on peut en déduire en quoi l'Internet
vient changer cela: d'une part, comme il est apparu dans les pays développés
des formes de télé-travail, on peut penser à étendre
ce principe à l'échelle mondiale, réalisant un marché
international du travail dans lequel la position géographique des
candidats n'aurait plus aucune importance. D'autre part, l'investissement
nécessaire pour travailler sur Internet est léger, ou du
moins le deviendra de plus en plus, par opposition à celui des activités
traditionnelles, industrielles et autres, qui nécessitaient notamment
de grands bâtiments et d'importantes machines: les coûts d'un
ordinateur et d'une connexion à Internet sont déjà
faibles relativement au revenu d'un travail occidental; ils vont continuer
à tendre vers zéro à l'avenir, profitant notamment
du développement des connexions haut débit.
A cela on peut ajouter que l'obstacle au développement de certains
pays étant la lourdeur absurde des formalités administratives
à chaque création d'entreprise, ainsi qu'une lourdeur excessive
et injuste des impôts décidés par leurs gouvernements
corrompus, réduisant souvent les gens à se rabattre sur l'auto-consommation
et les petits services au noir, l'anonymat que permet l'Internet et l'organisation
en micro-structure du travail qui s'y pratique pourrait être une
excellente opportunité de télé-travail clandestin,
amenant enfin dans ces pays les devises nécessaires au développement.
Ceci fournira un plancher du revenu de travail de certains métiers:
si un métier est payé un certain prix dans un certain pays,
alors en soustrayant le coût de la technologie et en tenant compte
de la perte de productivite horaire due aux insuffisances de la technologie,
on obtient le prix minimal qu'il pourra être payé n'importe
où ailleurs, sans égard aux frontières et à
l'éloignement. Comme le prix et la qualité de la technologie
s'améliorent régulièrement, ce prix minimal actuellement
très en-dessous de zéro deviendra brutalement positif, et
moins d'une décennie plus tard il dépassera 50% du salaire
occidental, bouleversant complètement l'économie mondiale.
Et même, le coût de l'exportation du travail deviendra finalement
plus petit encore que le coût du transport des marchandises. De quoi
en principe provoquer bientôt un équilibrage international
des salaires plus net encore que n'a été l'équilibrage
des prix.
Pour résumer le tout, on peut dire que les travailleurs du Tiers-monde
pourront bientôt, en restant chez eux, faire tourner les usines occidentales
d'où sortiront les produits qu'ils feront transporter jusque chez
eux pour les consommer, sans attendre que des usines équivalentes
soient construites chez eux.
Bien sûr, on peut penser à un obstacle : le télé-travail
n'est adapté qu'à certains types de métiers exclusivement,
et le contact humain reste dans certains cas nécessaire.
Alors expliquons pourquoi cet obstacle diminuera progressivement, sans
rencontrer de limite. Cela est lié à la nature même
du travail. Profitons-en pour développer une réflexion sur
la nature du travail, intéressante pour d'aures raisons.
L'une est que les machines peuvent être construites suivant n'importe
quelle forme, alors que tous les hommes sont constitués à
peu près de la même manière. La forme humaine peut
s'adapter à beaucoup de tâches, mais pas toujours très
bien et parfois même très mal.
Or il serait encore très difficile ou impossible, suivant les
tâches, de faire des robots qui travaillent suivant les mêmes
méthodes ou gestes que l'homme. Par contre, on peut fabriquer des
machines de diverses formes plus adaptées à des tâches
spécifiques, et inventer des méthodes de travail correspondantes,
rendant le travail des machines ou des robots beaucoup plus efficace que
ce que pourrait faire un homme.
Là encore, les ordinateurs ne sont pas adaptés aux mêmes
tâches, mais à d'autres tâches qui n'existaient pas
auparavant.
Ces tâches que peuvent effectuer les ordinateurs consistent dans l'exécution de programmes bien précis que l'on a introduits dedans comme des informations. Ce sont des méthodes de travail détaillées en sorte qu'ellent puissent être exécutées par l'ordinateur, bêtement et aveuglement, car l'ordinateur est bête et aveugle, il se contente d'exécuter les instructions sans rien y comprendre.Mais à partir du moment où un programme a été introduit dans l'ordinateur une fois, il n'est plus utile de le répéter, l'ordinateur peut en répéter l'exécution indéfiniment. A condition qu'il en ait reçu l'instruction.
Le travail humain utilise quatre ressources : la force, le système
nerveux (entrées-sorties), le cerveau et l'esprit.
Tout travail humain s'exprime à travers un travail musculaire;
un travail musculaire peut plus ou moins être remplacé par
une machine motorisée, à une différence près,
qui est fondamentale: une machine ne saurait pas quels mouvements effectuer
!
Ensuite, suivant les situation, parfois il suffit de savoir réagir
(système nerveux), ou savoir calculer (cerveau), ou encore savoir
comprendre et inventer (esprit).
L'esprit, c'est la seule partie de l'être humain qui peut comprendre,
remonter au sens des choses, imaginer, s'adapter, prévoir, inventer
de nouvelles idées et les concrétiser en des ordres nouveaux
ou instructions nouvelles, d'une pertinence qu'aucun programme d'ordinateur
ne pourra jamais imiter. Dans beaucoup de situations, seul l'esprit humain,
dépassant l'intelligence des machines, est capable de prendre les
bonnes décisions. Il restera donc à jamais impossible de
le remplacer par des machines. C'est la seule ressource qui en fin de compte
continuera toujours à coûter cher, celle pour laquelle des
emplois existeront toujours.
Pour les tâches effectuées régulièrement
par les hommes qui sont équivalentes à un certain programme,
il suffit qu'un homme décide un jour d'analyser ce qu'il fait ainsi,
de le conceptualiser afin d'inventer le programme qui peut en faire
autant: il construira ce programme en s'appliquant à ce que cela
traduise
la même idée que la méthode de travail qu'il effectuait
lui-même auparavant.
Ce travail de conceptualisation peut être parfois très
difficile, car il y a des tâches qui utilisent des capacités
du cerveau très évoluées auxquelles on ne pense même
plus, comme par exemple la capacité à reconnaître un
visage.
Mais pour chacune de ces millions de méthodes de travail présentes et les milliards de méthodes de travail à venir, qui peuvent ainsi être traduites une fois pour toutes en un langage qu'un ordinateur peut exécuter indéfiniment, ce travail de conceptualisation et de traduction, justement, est un travail qu'aucune machine ne pourra jamais remplacer.
Déjà, des millions de personnes ont pour métier
d'écrire des programmes, et ont ainsi inventé des millions
de méthodes de travail nouvelles que les ordinateurs devront exécuter,
réponses toujours nouvelles, imaginatives et adaptées
à cette éternelle question que les machines nous poseront
toujours, implicitement ou explicitement: ``Et maintenant, qu'est-ce
que je dois faire ?''.
Cette question se retrouve partout, elle est posée par les élèves
aux professeurs. Les avions ont besoin de pilote, toutes les structures
économiques, sociales et politiques ont besoin de gens pour les
diriger.
Savoir exécuter une méthode donnée ne sert pas, en tout cas, à connaître le résultat, puisqu'un ordinateur peut en faire autant. Mais cela peut servir uniquement en tant que moyen pour comprendre la méthode, lui donner un sens, en voyant un exemple d'exécution, si on manque d'expérience ou d'intuition pour la comprendre directement à la lecture du programme (sauf lorsqu'il y a des situations où il est plus simple de faire ainsi qu'avec un ordinateur). Et saisir le sens d'un programme permet de s'en inspirer pour inventer d'autres programmes du même style, et aussi pour placer ce programme dans un contexte qui le réutilise plusieurs fois.
Il y a d'autres exemples de tâches qui ne sont d'aucune manière répétitives, et pour lesquelles le travail humain restera indispensable: tout ce qui relève strictement des relations humaines (l'art, la psychologie, la sociologie, la négociation, la rédaction, le journalisme...), toutes les sortes de prises de décisions, humaines ou en dialogue avec les machines, prises de risques et de responsabilités, d'adaptation à la nouveauté: l'invention de nouveaux styles de produits, de nouvelles méthodes d'organisation du travail, l'invention de nouveaux objets, de nouveaux types d'activités, de nouveaux métiers à donner à exécuter aux robots; tous les travaux qui ne sont presque jamais répétées suivant des méthodes ``à appliquer bêtement" données au départ, voilà ce que seront les métiers de demain.
Voilà le sens de la modernité, celui qui permet au développement
économique d'exister: ce n'est pas le fait de s'abrutir devant la
télévision à regarder des films américains
et à acheter les produits vantés par la publicité
(bien que les Américains s'abrutissent aussi pas mal devant leur
petit écran).
Mais c'est le fait, pour un nombre d'individus le plus grand possible,
d'avoir des idées et de prendre des initiatives pour créer
ou s'adapter à un environnement nouveau, et aussi d'être responsable
de ce que l'on fait.
Et c'est aussi la compréhension du fait que le bénéfice
individuel revient, bien que de façon imparfaite, aux individus
et aux entreprises qui jouent un rôle utile à la société,
parce que les lois du marché sont telles que le prix de ce que l'on
vend, son travail ou ses produits, correspond au moins un peu à
leur utilité sociale.
Alors dans un certain avenir, il est raisonnable de penser que le télé-travail ne sera pas plus compliqué et ne coûtera pas si cher que cela. Il suffit que les périphériques nécessaires (caméras, gants tactiles, identification des mouvements du corps humain, écrans grands en angle de vue et confortables...) se répandent à un prix raisonnable, et que le flux des connexions internationales soit suffisament rapide (en débit et en synchronicité) et bon marché (il l'est déjà en mode IP), que les bras mécaniques gagnent en agilité, les détecteurs en ubiquité et finesse, de même pour les écrans pour simuler une vision en relief.
Je pense que ces deux prix diminueront, parce que:
1) La construction, du moins dans le cas d'habitations standard, est
un métier nécessitant relativement peu de qualifications
en moyenne, qui pourra donc être partiellement robotisé ou
réalisé à distance, par des travailleurs de pays moins
développés (dont beaucoup travaillent actuellement dans le
bâtiment pour des salaires de misère).
2) Le prix du terrain est lié à la position géographique:
il est plus élevé en zone urbaine qu'en zone rurale, puis
en pays développé qu'en pays moins développé.
Si dans un premier temps le niveau général des prix en
pays sous-développé reste plus faible, il est alors plus
avantageux pour les Occidentaux dont le métier se prête le
mieux aux possiblités de télé-travail d'aller y habiter,
ce qui diminuera le prix de l'immobilier occidental.
Ensuite, une des principales raisons d'être des zones urbaines
et du fait que le prix du terrain constructible y est plus élevé
est qu'il est plus pratique d'habiter en ville, afin d'être le plus
proche possible de toutes les activité et de pouvoirs travailler
avec les autres. Mais si les technologies permettent d'être aussi
bien virtuellement proche de toutes les activités et de travailler
avec les autres sans y être concrêtement, alors cet avantage
des régions urbaines se trouve beaucoup réduit, tandis que
l'avantage d'avoir la tranquilité de la nature en sortant de chez
soi peut gagner de l'importance. Donc on peut s'attendre à une diminution
de la concentration urbaine et une reconquête des milieux ruraux.
Donc, une baisse des valeurs immobilières.