From: spoirier...
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Subject: Re: Constance du temps
Message-ID: <1fbc91d3.0205140357.6403d578@posting.google.com>
"Kzerphii Toomk" <kzerphii.toomk@wanadoo.fr> wrote in message news:<abpa4q$565$1@wanadoo.fr>...
> On lit régulièrement que l'écoulement du
> temps n'est pas uniforme dans l'Univers.
(...)
> Question : La constatation et la mesure du
> temps font appel à des mécanismes, fussent-ils
> atomiques. Or tout mécanisme est affecté par
> des forces (telles la gravité ou l'électromagnétisme).
> Dès lors n'est-il pas erroné de déclarer que
le
> temps ralentit alors que ce n'est que le mouvement
> des objets (constitutifs des instruments de mesure
> du temps) qui ralentit (comme les atomes ou la
> mécanique interne de ces derniers) ?
> Ne serait-il pas plus juste de considérer que
> le temps est absolu mais que les forces élémentaires
> modifient le comportement des objets et qu'il
> n'existe pas de moyen connus pour effectuer une
> mesure du temps "absolu", c'est à dire échappant
> aux dites forces ?
>
> Pardonnez la formulation maladroite de la
> question, je n'ai aucune formation scientifique.
>
Voilà un type de question qui revient souvent.
C'est le genre de difficulté philosophique qui sert de prétexte
à des tonnes de théories pipotiques qui prétendent
rejeter la Relativité et "enfin expliquer ce qui était incompris"
ou des choses comme ca.
Signalons au passage que c'est une question hyperclassique, à
la portée du premier venu, et que si les physiciens qui ont étudié
les problèmes beaucoup plus en profondeur affirment toujours que
le temps est relatif, ils doivent avoir de bonnes raisons à cela.
Cependant, la raison en est assez subtile, c'est pourquoi reviennent
régulierement des gens qui ne l'ayant pas comprise croient pouvoir
la contester.
La question étant "Y a-t-il ou non un temps absolu ?"
Aucune expérience n'est là pour apporter une preuve strictement
rigoureuse du pour ou du contre.
Il faut donc trancher par des moyens de type épistémologiques.
Voici comment.
On peut reformuler la question sous la forme de deux questions:
1) Pourquoi y aurait-il un temps absolu ?
2) Pourquoi n'y en aurait-il pas ?
Et encore avant il faudrait définir ce qu'on entend:
a) Qu'est-ce qu'un temps absolu ?
b) Que peut signifier l'"existence" d'un tel temps ?
(enfin, les mots "absolu" et "exister" sont en quelque sorte la répétition
l'un de l'autre)
Un temps serait une projection de l'espace-temps sur une droite abstraite
(ou quotient par une relation d'équivalence) considérée
comme droite du temps.
L'affirmation de son "existence" ou de son caractère absolu
est l'affirmation qu'il y ait une telle projection qui soit "canonique"
(suivant le langage mathématicien), donc qui joue un rôle
clé a la différence de toutes les autres projections.
Si les débutants ont tendance à penser qu'il y aurait
un temps absolu, c'est parce que l'expérience courante semble l'indiquer:
la vitesse de la lumiere est tellement grande que le temps est presque
absolu: l'espace-temps voisin de la surface du globe terrestre étant
allongé comme un spaghetti est à peu près assimilable
à une ligne sur laquelle il se projette naturellement avec une faible
marge d'erreur (moins d'un dixième de seconde).
A cela s'ajoute le fait que l'expérience la plus directe concerne
les perceptions par le corps humain, dont la petite taille ne laisse en
pratique aucune marge d'indéfinition a la perception du temps qui
est donc percu de maniere linéaire.
Ce qui resulte donc réellement de cette expérience est que tous les temps possibles sont approximativement égaux entre eux. Mais si on sort de ce domaine experimental, ces temps presque égaux peuvent devenir nettement différents. Alors, entre ces temps presque egaux, la question est de savoir s'il y en a un plus vrai que les autres.
Il se trouve (en simplifiant) qu'on peut préciser rigoureusement
une telle définition en termes expérimentaux de la notion
de "temps" en sorte que tous les temps obéissant a cette définition
coincident ainsi approximativement entre eux et avec le temps naïf,
dans le cas restreint des expériences terrestres courantes. Par
contre on ne connaît aucune expérience qui distingue un de
ces temps par opposition à tous les autres.
Il se trouve en effet qu'a chaque fois qu'on imaginerait naïvement
une telle expérience, les "phénomènes relativistes"
"complotent" pour empêcher toute différence de comportement
d'apparaître entre ces temps (ex. classique: Michelson-Morley - mais
les exemples actuellement connus sont innombrables).
Bien sûr on peut toujours affirmer qu'il y a un temps absolu dont
tout dépend, et que tous les phénomènes "relativistes"
ne sont finalement que des "effets mécaniques"
dus a la vitesse.
Mais jamais de telles explications mécaniques n'expliqueront
pourquoi tous ces innombrables effet a priori indépendants s'organisent
finalement si parfaitement en un tel "complot" qui jusqu'à maintenant
nous a privé systématiquement de tout moyen experimental
de distinguer le "vrai" temps a l'exclusion de tous les autres temps. (En
fait, ce serait proprement un miracle si ce n'était, justement,
parce que le temps absolu n'existe pas.)
Cette situation est totalement analogue a la suivante: l'Univers a-t-il
un centre ?
Naïvement, chacun pourrait se croire le centre de l'Univers, ou
sinon du moins, une fois qu'il a compris qu'il n'est pas seul, croire que
sa ville, son pays, la Terre, le Soleil, que sais-je... serait le centre
de l'Univers.
Mais, de découverte en découverte, on s'est aperçu
que chacun des supposés centres n'en était pas un.
En un sens, tout point peut etre considéré comme centre
- mais comme tous le sont, aucun ne l'est vraiment.
Qu'est-ce qu'un centre ? C'est un point canonique, duquel tout dépendrait.
Sans préjuger de sa position, pourrait-on envisager qu'au fond
il existe quelque part
et que tout dépend de lui ?
Bien sûr on peut supposer que cette dépendance est cachée,
et que les comportements
mécaniques sont tels qu'ils prennent la même forme extérieure
quelles que soient les
dispositions par rapport à ce centre. Mais comme ce sont finalement
tous les
phénomenes connus qui ont cette propriéte, n'est-il pas
raisonnable de penser
que ce "centre" n'existe pas ?
Ne serait-il pas ridicule de dire que les lois de la physique "s'expliqueraient
mieux"
à partir de l'hypothèse d'un centre, sans pour autant
modifier ces lois (donc
préservant le fait que les conséquences observables ne
dépendent pas de la position du centre), et ce même si quelqu'un
affirmerait avoir découvert une telle "explication" ?
Pour préciser la question de "l'existence" d'un centre ou d'un
temps absolu:
Comme on ne l'a pas encore détecté, son "existence" signifierait-elle
qu'on ne
l'a pas encore détecté mais qu'il a réellement
une influence effective qu'on arrivera un jour à détecter
à force de finesse d'expériences ?
Et s'il était à tout jamais indétectable, quelle
signification resterait-t-il encore
à l'affirmation de son existence ?
On peut comparer cela a une affaire de semi-décidabilité:
tel algorithme s'arretera-t-il ?
S'il est simple et qu'on l'a fait marcher des milliards d'années,
il est raisonnable de penser qu'il ne s'arrêtera pas. Bien sûr
on ne l'a pas prouvé, mais il est plus simple de croire une loi
toujours confirmée par l'expérience tant qu'on n'a pas trouvé
de contre-exemple.
Et en l'occurence, si le temps absolu était une réalité
des plus fondamentales, la quantité et la diversité considérables
des moyens experimentaux déjà déployés aurait
dû nous en montrer des traces depuis longtemps.
Ca ne l'a pas fait, il doit y avoir une explication.
Plutôt que de vouloir trouver a chaque phénomene relativiste
une explication mécanique particulière qui aurait comme par
hasard toujours exactement l'amplitude qu'il faut pour
nous empêcher de détecter le temps absolu, l'explication
la plus raisonnable est que le temps absolu n'existe pas.
On peut remarquer aussi le caractere ô combien fructueux des recherches théoriques basées sur les principes de la Relativité, à savoir l'hypothèse suivant laquelle on ne pourra toujours pas distinguer un temps absolu en étendant nos expériences à tel ou tel nouveau domaine expérimental qu'on n'avait pas encore examiné : les succès majeurs de la physique fondamentale en sont issues et ont ainsi toujours confirmé cette théorie. (L'existence des antiparticules en est un petit exemple; en fait, cela devient évident quand on connaît un peu la théorie quantique des champs, dont la formulation repose totalement dessus.)
Voilà. C'est clair ou faut-il encore expliquer quelque chose ?
De toute façon, ceci ne prétend pas répondre complètement,
mais seulement réfuter votre argument. L'argument contraire,
à savoir montrer que c'est cohérent, ce n'est pas "répondre
à une question" mais c'est exposer la théorie. Je l'ai exposée
sur mon site, à vous de la lire.