Ci-dessous ma réponse à une question apparue dans fr.sci.physique sur l'existence du temps absolu. Note: dans la nouvelle version de texte intro.ps ou pdf (décembre 2002) se trouve discutée la question générale de l'existence d'une réalité inobservable de ce genre (fin de la section "Qu'est-ce que la physique mathématique").

From: spoirier...
Newsgroups: fr.sci.physique
Subject: Re: Constance du temps
Message-ID: <1fbc91d3.0205140357.6403d578@posting.google.com>

"Kzerphii Toomk" <kzerphii.toomk@wanadoo.fr> wrote in message news:<abpa4q$565$1@wanadoo.fr>...
> On lit régulièrement que l'écoulement du
> temps n'est pas uniforme dans l'Univers.
(...)
> Question : La constatation et la mesure du
> temps font appel à des mécanismes, fussent-ils
> atomiques. Or tout mécanisme est affecté par
> des forces (telles la gravité ou l'électromagnétisme).
> Dès lors n'est-il pas erroné de déclarer que le
> temps ralentit alors que ce n'est que le mouvement
> des objets (constitutifs des instruments de mesure
> du temps) qui ralentit (comme les atomes ou la
> mécanique interne de ces derniers) ?
> Ne serait-il pas plus juste de considérer que
> le temps est absolu mais que les forces élémentaires
> modifient le comportement des objets et qu'il
> n'existe pas de moyen connus pour effectuer une
> mesure du temps "absolu", c'est à dire échappant
> aux dites forces ?
>
> Pardonnez la formulation maladroite de la
> question, je n'ai aucune formation scientifique.
>

Voilà un type de question qui revient souvent.
C'est le genre de difficulté philosophique qui sert de prétexte à des tonnes de théories pipotiques qui prétendent rejeter la Relativité et "enfin expliquer ce qui était incompris" ou des choses comme ca.
Signalons au passage que c'est une question hyperclassique, à la portée du premier venu, et que si les physiciens qui ont étudié les problèmes beaucoup plus en profondeur affirment toujours que le temps est relatif, ils doivent avoir de bonnes raisons à cela.
Cependant, la raison en est assez subtile, c'est pourquoi reviennent régulierement des gens qui ne l'ayant pas comprise croient pouvoir la contester.

La question étant "Y a-t-il ou non un temps absolu ?"
Aucune expérience n'est là pour apporter une preuve strictement rigoureuse du pour ou du contre.
Il faut donc trancher par des moyens de type épistémologiques.

Voici comment.

On peut reformuler la question sous la forme de deux questions:
1) Pourquoi y aurait-il un temps absolu ?
2) Pourquoi n'y en aurait-il pas ?

Et encore avant il faudrait définir ce qu'on entend:
a) Qu'est-ce qu'un temps absolu ?
b) Que peut signifier l'"existence" d'un tel temps ?
(enfin, les mots "absolu" et "exister" sont en quelque sorte la répétition l'un de l'autre)

Un temps serait une projection de l'espace-temps sur une droite abstraite (ou quotient par une relation d'équivalence) considérée comme droite du temps.
L'affirmation de son "existence" ou de son caractère absolu est l'affirmation qu'il y ait une telle projection qui soit "canonique" (suivant le langage mathématicien), donc qui joue un rôle clé a la différence de toutes les autres projections.

Si les débutants ont tendance à penser qu'il y aurait un temps absolu, c'est parce que l'expérience courante semble l'indiquer: la vitesse de la lumiere est tellement grande que le temps est presque absolu: l'espace-temps voisin de la surface du globe terrestre étant allongé comme un spaghetti est à peu près assimilable à une ligne sur laquelle il se projette naturellement avec une faible marge d'erreur (moins d'un dixième de seconde).
A cela s'ajoute le fait que l'expérience la plus directe concerne les perceptions par le corps humain, dont la petite taille ne laisse en pratique aucune marge d'indéfinition a la perception du temps qui est donc percu de maniere linéaire.

Ce qui resulte donc réellement de cette expérience est que tous les temps possibles sont approximativement égaux entre eux. Mais si on sort de ce domaine experimental, ces temps presque égaux peuvent devenir nettement différents. Alors, entre ces temps presque egaux, la question est de savoir s'il y en a un plus vrai que les autres.

Il se trouve (en simplifiant) qu'on peut préciser rigoureusement une telle définition en termes expérimentaux de la notion de "temps" en sorte que tous les temps obéissant a cette définition coincident ainsi approximativement entre eux et avec le temps naïf, dans le cas restreint des expériences terrestres courantes. Par contre on ne connaît aucune expérience qui distingue un de ces temps par opposition à tous les autres.
Il se trouve en effet qu'a chaque fois qu'on imaginerait naïvement une telle expérience, les "phénomènes relativistes" "complotent" pour empêcher toute différence de comportement d'apparaître entre ces temps (ex. classique: Michelson-Morley - mais les exemples actuellement connus sont innombrables).

Bien sûr on peut toujours affirmer qu'il y a un temps absolu dont tout dépend, et que tous les phénomènes "relativistes" ne sont finalement que des "effets mécaniques"
dus a la vitesse.
Mais jamais de telles explications mécaniques n'expliqueront pourquoi tous ces innombrables effet a priori indépendants s'organisent finalement si parfaitement en un tel "complot" qui jusqu'à maintenant nous a privé systématiquement de tout moyen experimental de distinguer le "vrai" temps a l'exclusion de tous les autres temps. (En fait, ce serait proprement un miracle si ce n'était, justement, parce que le temps absolu n'existe pas.)

Cette situation est totalement analogue a la suivante: l'Univers a-t-il un centre ?
Naïvement, chacun pourrait se croire le centre de l'Univers, ou sinon du moins, une fois qu'il a compris qu'il n'est pas seul, croire que sa ville, son pays, la Terre, le Soleil, que sais-je... serait le centre de l'Univers.

Mais, de découverte en découverte, on s'est aperçu que chacun des supposés centres n'en était pas un.
En un sens, tout point peut etre considéré comme centre - mais comme tous le sont, aucun ne l'est vraiment.
Qu'est-ce qu'un centre ? C'est un point canonique, duquel tout dépendrait.
Sans préjuger de sa position, pourrait-on envisager qu'au fond il existe quelque part
et que tout dépend de lui ?

Bien sûr on peut supposer que cette dépendance est cachée, et que les comportements
mécaniques sont tels qu'ils prennent la même forme extérieure quelles que soient les
dispositions par rapport à ce centre. Mais comme ce sont finalement tous les
phénomenes connus qui ont cette propriéte, n'est-il pas raisonnable de penser
que ce "centre" n'existe pas ?

Ne serait-il pas ridicule de dire que les lois de la physique "s'expliqueraient mieux"
à partir de l'hypothèse d'un centre, sans pour autant modifier ces lois (donc
préservant le fait que les conséquences observables ne dépendent pas de la position du centre), et ce même si quelqu'un affirmerait avoir découvert une telle "explication" ?

Pour préciser la question de "l'existence" d'un centre ou d'un temps absolu:
Comme on ne l'a pas encore détecté, son "existence" signifierait-elle qu'on ne
l'a pas encore détecté mais qu'il a réellement une influence effective qu'on arrivera un jour à détecter à force de finesse d'expériences ?
Et s'il était à tout jamais indétectable, quelle signification resterait-t-il encore
à l'affirmation de son existence ?

On peut comparer cela a une affaire de semi-décidabilité:
tel algorithme s'arretera-t-il ?
S'il est simple et qu'on l'a fait marcher des milliards d'années, il est raisonnable de penser qu'il ne s'arrêtera pas. Bien sûr on ne l'a pas prouvé, mais il est plus simple de croire une loi toujours confirmée par l'expérience tant qu'on n'a pas trouvé de contre-exemple.

Et en l'occurence, si le temps absolu était une réalité des plus fondamentales, la quantité et la diversité considérables des moyens experimentaux déjà déployés aurait dû nous en montrer des traces depuis longtemps.
Ca ne l'a pas fait, il doit y avoir une explication.
Plutôt que de vouloir trouver a chaque phénomene relativiste une explication mécanique particulière qui aurait comme par hasard toujours exactement l'amplitude qu'il faut pour nous empêcher de détecter le temps absolu, l'explication la plus raisonnable est que le temps absolu n'existe pas.

On peut remarquer aussi le caractere ô combien fructueux des recherches théoriques basées sur les principes de la Relativité, à savoir l'hypothèse suivant laquelle on ne pourra toujours pas distinguer un temps absolu en étendant nos expériences à tel ou tel nouveau domaine expérimental qu'on n'avait pas encore examiné : les succès majeurs de la physique fondamentale en sont issues et ont ainsi toujours confirmé cette théorie. (L'existence des antiparticules en est un petit exemple; en fait, cela devient évident quand on connaît un peu la théorie quantique des champs, dont la formulation repose totalement dessus.) 


Autre message, reçu celui-ci par email:

J'admire beaucoup votre combat pour défendre la théorie de la relativité restreinte qui ne semble pas erronée quant à ses résultats. Malgré tout je trouve qu'il y a quelques points qui posent question dans cette thèse, en particulier celui de la réciprocité. En effet si la contraction des longueurs et la dilatation des durées sont des phénomènes apparents et réciproques comment peut-on savoir qui subit ces effets?
Je m'explique: si vous êtes sur Mars et moi sur Neptune par exemple -planètes qui sont en mouvement l'une par rapport à l'autre- qui de vous ou de moi subira le ralentissement du temps? D'après la théorie einteinienne je dois considérer que vous subissez ce ralentissement comme vous vous pouvez penser que l'écoulement du temps sur Neptune est plus faible que le votre:

pour vous tNeptune = k tMars et LNeptune = k lMars
pour moi tMars = k tNeptune et LMars = k lNeptune

Dès lors, comme nous choisissons un même étalon de longueur et de temps
lNeptune = lMars tNeptune = tMars

nous sommes bien dans l'obligation d'écrire que:
LNeptune = LMars tNeptune = tMars

Ne mesurons-nous donc pas, vous et moi, la même longueur l et le même temps t sur notre planète? Il n'y a d'ailleurs pas de contestation sur cela dans la théorie de la relativité; je ne fais qu'écrire ses résultats: "on pourra facilement vérifier que l'effet [de ralentissement du temps], comme dans la mesure des longueurs, est réciproque." (Stamatia Mavridès. La Relativité. PUF).
Mais la dernière égalité qui signifie que nos temps propres sont les mêmes ne peut se traduire autrement que par un écoulement du temps identique sur Mars et sur Neptune, vous en conviendrez.
En vertu de principe de réciprocité nous devons donc admettre que "l'autre" subit un ralentissement (fictif) du temps mais que deux observateurs en mouvement l'un par rapport à l'autre ont bien les mêmes temps propres.
Par suite si le temps s'écoule de la même façon pour vous et pour moi, ne doit-on pas admettre alors qu'il s'agit du même temps, valable pour nous deux et par extrapolation pour tout "le monde", à savoir le temps absolu?

Je trouve donc pour le moins curieux que, partant d'une non-simultanéité des phénomènes, passant par des temps relatifs, la théorie einsteinienne en arrive à la conclusion de temps propres identiques et par conséquent à un temps absolu donc à l'universalité de la simultanéité des phénomènes.




Bon. Je vois que vous n'avez donc pas encore assimilé cette théorie. C'est à vous de faire le travail de réflexion, et aussi je vous invite encore à lire mon approche qui permet d'éviter le conflit avec l'intuition.

>qui de vous ou de moi subira le ralentissement du temps?

Cette question n'a pas de sens. Le ralentissement du temps n'est pas quelque chose qui "existe" en soi mais c'est en quelque sorte un effet global. Votre question repose sur des notions a priori qui en réalité n'ont pas de sens.

Vous écrivez
<<
pour vous tNeptune = k tMars et LNeptune = k lMars
pour moi tMars = k tNeptune et LMars = k lNeptune

Dès lors, comme nous choisissons un même étalon de longueur et de temps
lNeptune = lMars tNeptune = tMars
>>

Ca n'a rien à voir avec un problème d'étalon de longueur et de temps.
En effet, ramener cela à une affaire d'étalon présuppose qu'on mesure une quantité unidimensionnelle, dans laquelle deux quantités sont comparables dans l'absolu, ce qui n'est pas le cas.

Si on écrit "pour vous tNeptune = k tMars et LNeptune = k lMars" alors cela s'appuie sur des notions de longueur et de temps qui dépendent du référentiel "pour vous". En ce sens, supprimer le "pour vous" pour écrire "tNeptune = k tMars et LNeptune = k lMars" ça devient vide de sens: SYNTAX ERROR !
Ni vrai ni faux, ça dépend du référentiel. Rapporté à un référentiel différent ça devient faux.

"un écoulement du temps identique sur Mars et sur Neptune, vous en conviendrez"
C'est vrai pour une autre notion de temps, à savoir le temps propre (à savoir le temps par rapport à soi-même), qui ne doit pas être confondue avec le temps par rapport à un référentiel donné (par rapport à un autre référentiel à préciser).

Avoir les mêmes temps propres n'enlève rien au fait que les jumeaux qui se retrouveront après que l'un ait voyagé, constateront leur différence d'âge. Chacun a vieilli normalement sans distorsion du temps, mais pendant des durées différentes pour chacun entre leur séparation et leurs retrouvailles.

"temps propres identiques et par conséquent à un temps absolu"
Le "par conséquent" est faux. Il y a bien temps propres identiques mais pas de temps absolu.
C'est une question de définition de "temps propre". Chaque temps propre est "normal" en soi, et une chose normale est aussi normale qu'une autre chose normale. Il y a de grands objets normaux et de petits objets normaux, sans que l'un doive être distordu pour cela. Deux petits objets normaux bout à bout en fait un grand...

Voilà. C'est clair ou faut-il encore expliquer quelque chose ?
De toute façon, ceci ne prétend pas répondre complètement, mais seulement réfuter votre argument. L'argument contraire,  à savoir montrer que c'est cohérent, ce n'est pas "répondre à une question" mais c'est exposer la théorie. Je l'ai exposée sur mon site, à vous de la lire.



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