Le jeudi, 8 mai 2003, à 22:25 Europe/Paris, <spoirier§lautre.net> a
écrit :

 Bonjour.
 On me dit que selon vous, matière et antimatière se repousseraient. Cette idée me semble une telle violation du principe d'équivalence de la relativité générale que je ne vois pas comment on peut défendre cela: les antiparticules intervenant en fait partout, notamment dans la théorie de la renormalisation et tout ce qui fait les subtilités de la théorie quantique des champs (dont le moment magnétique de l'électron), que je ne vois pas comment une telle violation du principe d'équivalence ne serait pas perceptible de manière omniprésente, et comment la relativité générale aurait encore des prédictions valides en fait.
 Auriez-vous une référence d'explication à m'indiquer ? Merci.


Bonjour,

Pour comprendre mieux l'idée, il faudrait que je vous envoie quelques articles.
Mais l'idée est la suivante. Dans les années 60, on a étudié les propriétés de trous noirs chargés et possédant un moment cinétique. Ces trous noirs chargés et en rotation (solutions de Kerr-Newman) ressemblent beaucoup à des particules, ce qu'un grand nombre d'auteurs ont d'ailleurs noté.
Mais il y a une propriété qui est passé presque inaperçue et qui est lié au renversement de la charge dans ces solutions: si on cherche à représenter, par exemple, un électron comme un trou noir de charge e et de moment cinétique hbar/2, alors on observe dans la même solution trou noir, une particule de masse et de charge opposée (qui ressemble alors beaucoup à un antiélectron mais repoussant maintenant tout corps qui s'approche de lui). J'insiste sur le fait que c'est la relativité générale qui prédit cela.
La majorité des physiciens ne s'y est pas encore habitué, mais il y a bien de la gravité répulsive dans la relativité générale: regardez par exemple l'expansion accélérée de l'univers et ce que l'on appelle la constante cosmologique (qui n'a à mon avis rien à voir avec une constante cosmologique).
Il y a pas mal de subtilités derrière ce que je viens de dire dans les lignes ci-dessus, et notamment le mécanisme qui fait que les deux morceaux de solution peuvent se voir l'un l'autre. Mais en deux mots, le principe d'équivalence n'est violé que si on insiste sur la condition de localité. Si on se laisse guider par la gravité répulsive que la Relativité Générale incorpore (et que l'on a observé expérimentalement dans les supernovae depuis 1998), on s'aperçoit que nos arguments d'impossibilité ne tiennent pas.
A un niveau élémentaire, j'ai écrit un petit livre "L'antimatière" dans la collection Domino de Flammarion. Sinon, je peux vous envoyer quelques articles plus techniques si vous le désirez car mes explications sont beaucoup trop courtes.

Bien amicalement,
Gabriel Chardin.
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Gabriel CHARDIN
DSM/DAPNIA/SPP
Centre d'Etudes de Saclay
F-91191 Gif/Yvette Cedex
France
chardin§hep.saclay.cea.fr

[ma réponse:]

A ma connaissance, le principe d'équivalence a toujours été un principe local. D'autre part, les antiparticules sont connues pour avoir une masse positive (au sens de la masse inerte). Je ne vois donc pas le rapport entre votre modèle et les antiélectrons. Ca "ressemble" à l'antiélectron par le fait que la charge est opposée, mais cela ne ressemble pas pour quoi que ce soit d'autre. Ce n'est pas parce que deux choses ont un point de ressemblance qu'elles sont confondues. Par exemple, un proton et un antiélectron ont la même charge.

Il me semble que dans votre "solution" de masse négative, étant toujours en relativité générale, c'est non seulement la masse pesante mais aussi la masse inerte qui est négative, n'est-ce pas ? Et que si ce mini trou noir renversé était mis aux alentours d'un trou noir de masse positive 1000 fois plus grand, il tomberait dedans de toute manière.

Je sais très bien qu'il y a de la gravité répulsive à cause de la constante cosmologique, mais cela n'a rien à voir parce que c'est diffus dans l'univers tandis qu'ici il est question de deux masses ponctuelles (je veux dire contenues chacune dans un petit volume, éloignés l'un de l'autre) dans un espace vide par ailleurs. La force attractive est alors proportionnelle à la masse, avec masse inerte = masse pesante. Le problème n'est pas de permettre les valeurs négatives ou pas, mais de garder ou pas l'égalité de ces deux quantités.

J'attends donc d'autres explications, mais cela me paraît une question suffisamment élémentaire pour ne pas avoir besoin d'entrer dans des développements sur les trous noirs comme ce que vous évoquez et qui à mon sentiment n'ont rien à voir avec le problème.

Salutations



[j'ai dû aussi envoyer ceci mais je ne sais plus quand:]

Bien sûr que la relativité générale en elle-même n'interdit pas les masses négatives mais elle interdit des masses pesantes différentes de la masse inerte (du point de vue du bilan délimité par une sphère éloignée).

Le fait que vous observez la solution de masse opposée "dans la même solution" par prolongement analytique n'implique nullement que cela soit réel, car ce n'est que le prolongement analytique des formules (au sens de la théorie des fonctions analytiques) et non un prolongement réel. Ce prolongement aurait lieu dans un autre univers sans rapport avec le nôtre...

Ce que je connais est la solution de Schwartzschild et aussi le cas d'un trou noir chargé sans moment cinétique. Je sais ainsi qu'avec ça si on s'amuse avec les prolongements analytiques on entre à fond dans la science-fiction (incluant un trou noir de même masse et de charge opposée dans un autre univers) mais si on examine bien l'évolution au cours du temps pouvant produire cela on constate qu'il y a en fait coupure violente de l'espace-temps en certaines limites, sans qu'une quelconque divergence de la courbure ne soit là pour l'annoncer.

------------------------[.doc = le même que l'article .pdf mis en lien]

Vous pouvez lire l'article ci-joint au format .doc Word. Il est récent
et est paru dans "Quantum limits to the second law", AIP Conference
Proceedings, Vol. 643, pp. 385-390 (2002). Cet article contient
plusieurs autres références sur le sujet.
A titre indicatif, je cite néanmoins:
B. Carter, Phys. Rev. 141 (1966) 1242.
B. Carter, Phys. Rev. 174 (1968) 1559 (démontre les propriétés de
renversement de la charge et du temps)
G. Chardin and J-M. Rax, Phys. Lett. B282 (1992) 256 (dépassé, mais le
début de l'idée)
G. Chardin, Hyperfine Interactions, 109 (1997) 83 (l'idée correcte)
B. O'Neill, "The geometry of Kerr black holes", (A. K. Peters,
Wellesley, Massachusetts, 1995)
Matt Visser, "Lorentzian wormholes: From Einstein to Hawking",
(Springer, New York, 1995), in particular Chapters 7 and 12.
R. d'Inverno, "Introducing Einstein's Relativity", (Oxford University
Press, 1992), en particulier les chapitres 18 et 19.
Gabriel Chardin.
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Le lundi, 12 mai 2003, à 07:46 Europe/Paris, <spoirier§lautre.net> a
écrit :

Ayant lu votre article, l'idée me paraît toujours étrange, et je voudrais comprendre.
 J'aurai quelques questions, dont voici la première, en supposant que votre idée d'une répulsion gravitationnelle entre matière et antimatière soit correcte.

 La matière serait attractive du point de vue de la matière et répulsive du point de vue de l'antimatière. Cela signifierait que l'espace-temps a deux métriques, l'une décrivant sa forme du point de vue de la matière et l'autre du point de vue de l'antimatière. Est-ce cela ou autre chose ?

 Merci.





Bonjour,

Dans la définition de l'antimatière que je pense voir dans les propriétés de renversement de charge et de temps de la relativité générale (qui sont pour un physicien des particules ou qui étaient pour Dirac une signature de l'antimatière), la symétrie matière-antimatière est rétablie et il n'y a plus de définition absolue de matière par
rapport à l'antimatière.
Cette précision donnée, une fois qu'une convention a défini qui était matière, matière et matière s'attirent, antimatière et antimatière s'attirent, matière et antimatière se repoussent.
Mais il n'y a pas vraiment deux métriques, seulement deux "univers" (je sais, la dénomination est impropre) reliés entre eux par le wormhole (trou de ver) de Kerr dans la même métrique (je suis d'accord que l'une des deux parties, celle de masse négative, est instable mais je pense qu'en champ faible l'instabilité met en jeu des temps énormes).
C'est le fait que les deux parties de la métrique se voient l'une l'autre à travers la propriété de conjugaison qui fait que l'on peut avoir l'impression, très réaliste, que l'on a affaire à une double métrique. Par exemple, au voisinage de la Terre, une particule de matière la voit de masse positive et une particule d'antimatière (par rapport à nous et à la Terre), la voit avec une masse négative, mais bien que nous puissions la voir dans notre espace grâce à l'existence des points conjugués elle se situe en fait dans la deuxième partie de la métrique, de masse négative pour simplifier, engendrée par la déformation que crée la masse de la Terre. Pas moyen a priori de passer par le wormhole qui relie les deux, néanmoins.

Gabriel Chardin.
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Le lundi, 12 mai 2003, à 09:56 Europe/Paris, <spoirier§lautre.net> a
écrit :

 Et donc si on observe l'antiparticule ou l'anti-vaisseau spatial puisqu'on peut échanger de la lumière avec lui, on le voit accélérer vers le haut ?

Oui.

Il me semble qu'on a beau dire qu'une antiparticule se trouve dans l'espace conjugué, la possiblité de la rencontrer pour faire une annihilation de particules la fait bien localiser dans notre espace, non ?


Il y a d'autres exemples en physique où on peut interagir avec une particule comme si elle était là, alors qu'en fait elle est située en un point conjugué. La première page de Nature sur les "Phantom atoms" du numéro du 3 février 2000 (et l'article sur ce sujet dans ce même numéro) en fournit une illustration. Nous ne sommes pas habitués à considérer que la physique est non-locale, parce qu'il nous est possible dans presque tous les cas de l''exprimer de façon locale, mais en fait un grand nombre de problèmes d'interaction s'expriment de façon élégante sans faire appel à des champs et de façon non-locale.

  Et que dire des photons qui sont leur propre antiparticule ? Dans quel espace se déplacent-ils, et qu'est-ce qui détermine leur trajectoire (en tant que particule, ou bien alors si on parle du champ électromagnétique on exprime son EDP dans un certain espace, et lequel) ?


Dans l'interaction entre une particule et une antiparticule, les photons passent de la partie masse positive à la partie masse négative (ou l'inverse), en passant par le trou de ver entre les deux. Il y a un seul type de photon, ils sont leur propre antiparticule et leurs trajectoires sont des géodésiques comme pour toute particule, mais les géodésiques se situent, dans l'interaction entrez matière et antimatière, sur les deux sous-espaces.

Gabriel Chardin.


Le lundi, 12 mai 2003, à 11:22 Europe/Paris, <spoirier§lautre.net> a
écrit :

 " les photons passent de la partie masse positive à la partie masse négative  (ou l'inverse), en passant par le trou de ver entre les deux."

 Où ça un trou de vers ? Près de la particule, près de l'antiparticule ou autre chose ?


L'idée traîne dans la littérature que toute particule constitue un trou de ver. Probable que c'est vrai. Dans ce cas, il y énormément de trous de ver un peu partout.
Mais on en a dans tous les cas un gros trou de ver dans notre passé qui est le Big-Bang.

 La relativité générale est-elle vraie dans un des deux espaces, dans les deux ou dans aucun ?

Dans les deux. Rien de plus que la relativité générale elle-même.

Gabriel CHARDIN




Le mardi, 13 mai 2003, à 11:33 Europe/Paris, <spoirier§lautre.net> a
écrit :

Puisque les trous de vers sont infiniment petits, ne peut-on pas définir une géométrie moyenne de l'espace à l'échelle macroscopique, qui les néglige ? En ce cas, calculant en fonction de cette géométrie moyenne le tenseur de Riemann, cela doit donner quelque chose qui correspond précisément à la matière et l'antimatière présentes là d'après l'équation d'Einstein, non ?

D'autre part, toujours du point de vue de l'échelle macroscopique, comme il y a des trous de vers partout (puisqu'il y a des particules partout) qui mènent au même autre espace (à moins qu'ils mènent à des millions d'espaces différents???),


Sauf pour le Higgs, scalaire, on peut facilement vérifier que toutes les particules élémentaires connues sont dans le cas "Kerr rapide", c'est-à-dire qu'il n'y a qu'un seul espace-temps (s'il n'y pas d'autres horizons introduits par d'autres contraintes).

 et que cette correspondance doit préserver l'ordre temporel au sens large (la relation transitive engendrée par "A est antérieur à B suivant un intervalle de temps non nul dans un espace ou A' est antérieur à B' suivant un intervalle de temps non nul dans l'autre" est une relation d'ordre, à moins que vous admettiez qu'on peut modifier le passé genre Retour vers le Futur mais alors je demande des explications),


Le cas "fast Kerr" permet de relier par des Closed Timelike Curves tout point de l'espace-temps, passé ou futur. Mais l'étude de Thorne et de ses collaborateurs (Novikov, Friedman, etc.) montre que cela n'est sans doute pas contradictoire avec le monde que nous connaissons avec sa flèche du temps. Contrairement à l'intuition, les deux "côtés" de l'espace dialoguent a priori à temps opposés. L'étude de Schulman (PRL 1999 référencé dans l'article que je vous ai envoyé) donne également de bonnes indications que cela n'est sans doute pas en contradiction avec l'existence d'une asymétrie temporelle, ce qui est évidemment fondamental. J'ai récemment écrit un petit livre de vulgarisation sur ce sujet aux Editions du Pommier, collection "Les Petites Pommes du Savoir", intitulé "Peut-on voyager dans le temps ?". Malgré le titre "science-fiction", le contenu est je pense assez exact scientifiquement.

n'en résulte-t-il pas que macroscopiquement cela définit un homéomorphisme d'un espace sur l'autre (ou alors cela me semblerait très tordu...) ?
Et donc, l'identification formelle de ces deux espaces via cet homéomorphisme reformule cette théorie de manière équivalente sous forme d'un seul espace avec deux métriques ?


Il est probable en effet que cela doit être assez équivalent à une formulation avec deux métriques. A la différence des propositions antérieures en ce sens, cependant, il n'y a pas d'arbitraire dans les deux métriques.

Gabriel Chardin.